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poison de la jalousie, étant cependant tres eloigné de la croire coupable du même crime qu’elle avoit commis avec moi.

Convaincu dans quelques unes de mes reflexions, que ce qu’elle avoit fait avec moi avoit été volontaire, je m’imaginois qu’un fort repentir l’empechoit de retourner à mon lit ; et cette idée me flattoit, car elle me la fesoit conjecturer amoureuse. Dans cette detresse de raisonnement je me suis determiné à l’encourager par écrit. Je lui ai écrit une courte lettre faite pour lui mettre l’esprit en paix soit qu’elle se crut coupable, soit qu’elle pût me soupçonner des sentimens contraires à ceux que son amour propre exigeoit. Ma lettre me parut un chef d’œuvre, et plus que suffisante pour me faire adorer, et pour obtenir la preference sur Candiani qui me sembloit un vrai animal indigne de la faire balancer entre lui et moi un seul moment. Elle me repondit de bouche une demie heure après qu’elle viendroit à mon lit le lendemain, et elle ne vint pas. J’en fus outré ; mais elle m’étonna à midi à table me demandant si je voulois qu’elle m’habillat en fille pour aller avec elle à un bal du médecin Olivo notre voisin qu’on devoit donner cinq ou six jours après. Toute la table applaudit, et j’y ai consenti. Je voyois le moment dans le quel une justification reciproque alloit nous rendre amis intimes, et à l’abri de toute surprise dependante de la foiblesse des sens. Mais voila ce qui est