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Notice

vent : Tout homme qui à quarante ans n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes[1]. »

Les événemens de sa vie prouvent que la trempe de son ame était naturellement forte, & qu’habitué de bonne heure à lutter avec l’adversité, il ne s’en laissa jamais abattre. La philosophie renforça tellement en lui la nature, qu’après avoir pendant quelques années joui des douceurs de l’aisance, il sut, déjà sur son déclin, envisager avec courage & sérénité, une position presque aussi malheureuse que celle où il avait passé sa jeunesse. De là cette probité sévère, cette fierté qui ne savait composer avec rien de petit ni de servile ; cet amour de l’indépendance qui repoussait toute chaîne, fut-elle d’or. Son plus grand malheur peut-être, s’il n’en trouva pas le dédommagement dans la philosophie & dans la vérité, fut d’être trop tôt & trop complètement détrompé de toute illusion. Celle de l’amitié, si c’en est une, était la seule qu’il eût conservée. Il est impossible de rendre davantage à ses amis, d’en être plus occupé, d’avoir avec eux plus d’abandon, d’épanchement & de confiance. Si l’un d’eux était malade, quelquefois malade lui-même, en dépit du tems, de la saison, des distances, il allait tous les jours passer quelques momens auprès de lui : on l’a vu pendant la longue maladie qui conduisit l’honnête Bret[2] au tombeau, ne pas laisser passer un jour sans aller

  1. Journal de Paris, No. 178.
  2. Homme de lettres estimable, auteur de quelques pièces de théâtre, & d’un commentaire sur Molière.