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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

symétriquement, les chevilles, dans chaque jambe, sont différentes de hauteur et de volume et forment ainsi deux accidents inégaux entre eux, mais également répétés d’une jambe à l’autre. Que dire des pieds et des mains, et de l’innombrable variété de contours, d’aspects, de physionomies que présentent ces membres, suivant qu’ils sont déviés à droite ou à gauche, agités ou en repos, contractés ou abandonnés, fléchis ou étendus ! Quel animal pourrait manifester par l’ensemble de ses mouvements, tout ce que la seule main de l’homme peut exprimer ? Par les mains, dit Montaigne, « nous requérons, nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, répétons, craignons, doutons, instruisons, commandons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, flattons, applaudissons, bénissons, moquons, réconcilions, exaltons, réjouissons, attristons, déconfortons, désespérons, étonnons, examinons, taisons. » Enfin le corps humain est une machine d’autant plus admirable, que le mécanisme en est évident pour l’esprit, mais voilé au regard. À chaque instant cette géométrique vivante est dissimulée par le mouvement, rompue par la perspective, masquée par la grâce. La figure humaine est donc une parfaite image de cette eurythmie qui, chez les Grecs, signifiait l’ensemble de toutes les mesures, la variété des accords contenue dans l’unité du concert.

Cherchons maintenant à quoi répond cette beauté par excellence, cette merveilleuse eurythmie du corps humain.

L’homme est le seul être créé pour la vie de relation, pour la vie de l’espèce. Au-dessous de lui, l’existence est emprisonnée dans les conditions de l’organisme ou réduite aux mouvements de l’instinct. Considérons une plante : elle vit d’une vie interne et solitaire, d’une sensibilité silencieuse. On la voit naître, croître et périr sur le sol qui en reçut le germe. Elle peut avoir quelque régularité dans ses formes répétées, correspondantes ou alternes, mais elle n’a que des dimensions : elle n’a pas encore de proportions. En effet, la proportion est le rapport constant d’une certaine partie avec le tout et avec les autres parties du tout… Que si l’être ainsi ébauché vient à se revêtir d’un appareil d’organes extérieurs, le végétal s’élèvera de la vie organique à la vie animale, à celle qui doit le mettre en communication avec les êtres environnants ; il va entrer dans le règne où se prépare l’habitation de l’intelligence : il était vivant, il devient animé.

Dans les animaux se manifestent déjà l’ordre, la proportion et la symétrie ; mais comme la plante était une ébauche de la vie, l’animal n’est qu’une ébauche de la beauté. Fixé en certaines régions, borné à une seule industrie, gouverné par l’instinct, il n’a qu’un semblant de liberté