Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/101

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vis de tous ceux qui l’y inviteront. L’impression trop vive qu’elle aura reçue des marques d’amour de son amant ne paraît plus qu’une disposition à aimer tous les hommes. Jugez du déplaisir, de la jalousie, du chagrin de son mari ; car le désir d’une propriété exclusive est le sentiment le plus vif qui lui reste. Il se consolera d’être peu aimé, pourvu que personne ne puisse l’être. Il est jaloux encore lorsqu’il n’aime plus, et son inquiétude n’est pas aussi absurde, aussi injuste que vous pourriez à présent vous l’imaginer. Je trouve souvent les hommes odieux dans ce qu’ils exigent, et dans leur manière d’exiger des femmes ; mais je ne trouve pas qu’ils se trompent si fort de craindre ce qu’ils craignent. Une fille imprudente est rarement une femme prudente et sage. Celle qui n’a pas résisté à son amant avant le mariage lui est rarement fidèle après. Souvent elle ne voit plus son amant dans son mari. L’un est aussi négligent que l’autre était empressé ; l’un trouvait tout bien, l’autre trouve presque tout mal. A peine se croit-elle obligée de tenir au second ce qu’elle avait juré au premier. Son imagination aussi lui promettait des plaisirs qu’elle n’a pas trouvés, ou qu’elle ne trouve plus. Elle espère les trouver ailleurs que dans le mariage ; et, si elle n’a pas résisté à ses penchants étant fille, elle ne leur résistera pas étant femme. L’habitude de la faiblesse sera prise, le devoir et la pudeur sont déjà accoutumés à céder. Ce que je dis est si vrai, qu’on admire autant dans le monde la sagesse d’une belle femme courtisée par beaucoup d’hommes, que la retenue d’une fille qui est dans le même cas. On reconnaît que la tentation est à peu près la même et la résistance aussi difficile. J’ai vu des femmes se marier avec la plus violente passion, et avoir un amant deux ans après leur mariage, ensuite un autre, et puis encore un autre, jusqu’à ce que méprisées, avilies… — Ah ! Maman ! S’écria Cécile en se levant, ai-je mérité tout cela ? — Vous