Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/156

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elle, permettez-moi de lui écrire demain ; à présent je ne pourrais. Et s’étant assise sur le canapé, à côté de moi, elle se pencha sur moi, et elle me caressait en pleurant avec un abandon qu’elle n’avait jamais eu. Elle savait bien que j’étais trop affligé pour en abuser. J’ai traduit de mon mieux la lettre de Caliste, et je vais la transcrire.

« Souffrez, monsieur, qu’une malheureuse femme en appelle de votre jugement à vous-même, et ose plaider sa cause devant vous. Je ne sens que trop la force de vos raisons ; mais daignez considérer, monsieur, s’il n’y en a point aussi qui soient en ma faveur, et qu’on puisse opposer aux considérations qui me réprouvent. Voyez d’abord si le dévouement le plus entier, la tendresse la plus vive, la reconnaissance la mieux sentie, ne pèsent rien dans la balance que je voudrais que vous daignassiez encore tenir et consulter dans cette occasion. Daignez vous demander si votre fils pourrait attendre d’aucune femme ces sentiments au degré où je les ai et les aurai toujours, et que votre imagination vous peigne, s’il se peut, tout ce qu’ils me feraient faire et supporter : considérez ensuite d’autres mariages, les mariages qui paraissaient les mieux assortis et les plus avantageux, et, supposé que vous voyiez dans presque tous des inconvénients et des chagrins encore plus grands et plus sensibles que ceux que vous redoutez dans celui que votre fils désire, n’en supporterez-vous pas avec plus d’indulgence la pensée de celui-ci, et n’en désirerez-vous pas moins vivement un autre ? Ah ! S’il ne fallait qu’une naissance honorable, une vie pure, une réputation intacte pour rendre votre fils heureux ; si avoir été sage était tout ; si l’aimer passionnément, uniquement, n’était rien, croyez que je serais assez généreuse, ou plutôt que je l’aimerais assez pour faire taire à jamais le seul désir, la seule ambition de mon cœur.

Vous me trouvez surtout indigne d’être la mère de vos