Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour quelques moments, quand je ne me souviendrais pas que cette femme belle, aimable et bonne est ma belle-fille ; mais, aussitôt que je vous entendrais nommer comme j’entendais nommer ma femme et ma mère, pardonnez ma sincérité, madame, mon cœur se tournerait contre vous, et je vous haïrais peut-être d’avoir été si aimable que mon fils n’eût voulu aimer et épouser que vous ; et, si dans ce moment je croyais voir quelqu’un parler de mon fils ou de ses enfants, je supposerais qu’on dit : c’est le mari d’une telle, ce sont les enfants d’une telle. En vérité, madame, cela serait insupportable, car, à présent que cela n’a rien de réel, l’idée m’en est insupportable. Ne croyez pourtant pas que j’aie aucun mépris pour votre personne ; il serait très injuste d’en avoir, et je suis disposé à un sentiment tout contraire. Je vous ai obligation, et c’est sans rougir de vous avoir obligation, de la promesse que vous me faites à la fin de votre lettre, sans bien savoir pourquoi j’y ai une foi entière. Pour vous payer de votre honnêteté et du respect que vous avez pour le sentiment qui lie un fils à son père, je vous promets, ainsi qu’à mon fils, de ne rien tenter pour vous séparer, et de ne lui jamais reparler le premier d’aucun mariage, quand on me proposerait une princesse pour belle-fille, mais à condition qu’il ne me reparle jamais non plus que vous du mariage en question. Si je me laissais fléchir, je sens que j’en aurais le regret le plus amer, et, si je résistais à de vives sollicitations, comme je ferais sûrement, outre le déplaisir d’affliger un fils que j’aime tendrement et qui le mérite, je me préparerais peut-être des regrets pour l’avenir ; car un père tendre se reproche quelquefois contre toute raison de n’avoir pas cédé aux instances les plus déraisonnables de son enfant. Croyez, madame, que ce n’est déjà pas sans douleur que je vous afflige aujourd’hui l’un et l’autre. »

je trouvai Caliste assise à terre, la tête appuyée