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et madame de charrière.

voyage en Allemagne ne sera pas dérangé de cette affaire-là, et si je n’irai pas voir, au lieu des stupides Brunswickois et des pesants Hambourgeois, les nouveaux républicains,

Ce peuple de héros et ce sénat de sages ! »

Il fit en effet le voyage de Paris dans l’été de 1796. Nous rejoignons ici le début du piquant article de M. Loève-Veimars. Benjamin Constant n’a pas vingt-neuf ans ; il passe au premier abord pour un jeune Suisse républicain et très candide, il vient de perdre à peine son air enfantin. Quelques lettres d’un émigré rentré et ami de madame de Charrière nous le peignent alors sous son vrai jour extérieur ; nous savons mieux que personne le dedans :


Paris, 11 messidor.

« J’ai vu notre compatriote Constant[1] ; il m’a comblé d’amitiés… Vous avez vu de son ouvrage dans les nouvelles politiques du 6, 7, 8 messidor… Benjamin est de tous les muscadins du pays le plus élégant sans doute[2]. Je crois que cela est sans danger pour sa fortune. On fait bien des choses avec un louis de Lausanne quand il vaut 800 francs, et que les denrées ne sont point en raison de la valeur de l’or… Il me paraît conserver ici la même existence d’esprit que M. Huber lui avait vue à Lausanne. Il ne dit rien. On ne le prend pourtant pas pour un sot… Tout cela voit beaucoup un jeune Riouffe, qui est auteur des Mémoires d’un Détenu, qui ont eu de

  1. L’émigré qui écrit ces lettres à madame de Charrière s’était fait naturaliser en Suisse ; c’est pour cela qu’il dit notre compatriote.
  2. Tant qu’avait duré la tendre relation de Benjamin Constant avec madame de Charrière, la toilette n’avait guère été un article de rigueur ; elle lui passait volontiers le négligé. Lorsque plus tard elle le vit devenir muscadin, elle lui dit un jour tristement : « Benjamin, vous faites votre toilette, vous ne n’aimez plus ! »