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NEUVIÈME LETTRE


Ce latin vous tient bien au cœur, et vous vous en souvenez longtemps. Savez-vous le latin ? Dites-vous. Non ; mais mon père m’a dit cent fois qu’il était fâché de ne me l’avoir pas fait apprendre. Il parlait très bien français. Lui et mon grand-père ne m’ont pas laissé parler très mal, et voilà ce qui me rend plus difficile qu’une autre. Pour ma fille, on voit, quand elle écrit, qu’elle sait sa langue ; mais elle parle fort incorrectement. Je la laisse dire. J’aime ses négligences, ou parce qu’elles sont d’elle, ou parce qu’en effet elles sont agréables. Elle est plus sévère : si elle me voit faire une faute d’orthographe, elle me reprend. Son style est beaucoup plus correct que le mien : aussi n’écrit-elle que le moins qu’elle peut : c’est trop de peine. Tant mieux. On ne fera pas aisément sortir un billet de ses mains. Vous demandez si ce latin ne la rend pas orgueilleuse. Mon dieu, non. Ce que l’on apprend jeune ne nous paraît pas plus étrange, pas plus beau à savoir, que respirer et marcher. Vous demandez comment il se fait que je sache l’anglais. Ne vous souvient-il pas que nous avions, vous et moi, une tante qui s’était retirée en Angleterre pour cause de religion ? Sa fille, ma tante à la mode de Bretagne, a passé trois ans chez mon père dans ma jeunesse, peu après mon voyage en Languedoc. C’était une personne d’esprit et de mérite. Je lui dois presque tout ce que je sais, et l’habitude de penser et de lire. Revenons à mon chapitre favori et à mes détails ordinaires.

La semaine dernière nous étions dans une assemblée où M. Tissot amena une Française d’une figure charmante, les plus beaux yeux qu’on puisse voir, toute la grâce que peut donner la hardiesse jointe à l’usage du monde. Elle était vêtue dans l’excès de la mode, sans