Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CXCIX.


Ore que j'entre en l'age, ou l'Amour flatteresse
Ensorcelle nos sens d'une folle poison,
Et du trac de vertu deplace la raison
L'esclavant sous le joug de la chair tromperesse :

Donne moy ton esprit, qui me serve d'adresse,
Parmi l'obscurité de la sombre prison
De ce cors tenebreus, esteignant le tison
De tant de chaus desir qui bruslent la jeunesse

Assez j'ay fourvoyé, comme un troupeau espars
Sans guide & sans pasteur, errant de toutes pars,
Ore je veus rentrer au bercail de ta grace :

Ouvre le moy, Seigneur, & quant l'heure viendra
Que de ce fardeau lourd l'esprit se desjoindra,
Recois l'incontinant à l'objet de ta face.


CC.


Quel est le louager si mal fait de cervelle
Qui dedans un logis ruineus & cassé
D'une prochaine cheute à tout coup menacé,
Librement ne choisisse une maison nouvelle ?

Habitant de ce cors si caducqu' & si fresle,
De tant de maladies a toute heure harassé,
De tant d'emotions rompu & fracassé,
Qui sans aucun respit jour & nuit le bourelle :

Nous aimons mieus y vivre en regret & frayeur,
Que passer par la mort dans le quartier plus seur
Du grand palais de DIEU Eternel & durable.

Tel est le naturel du podagre goutteus,
Qui mieux aime languir triste & solliciteus
Que guarir par la mort sa douleur incurable.