Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/35

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XV.


Sçais tu que cest de vivre ? autant comme passer
Un chemin tortueus, ore le pié te casse,
Le genou s’afoiblist, le mouvement se lasse
Et la soif vient le teint de ta levre effacer ;
 
Tantost il t’y convient un tien ami laisser,
Tantost enterrer l’autre, ore il faut que tu passes
Un torrent de douleur, et franchisses l’audace
D’un rocher de souspirs, fascheus à traverser.
      
Parmy tant de destours il faut prendre carriere
Jusqu’au Fort de la mort, et fuyant en arriere
Nous ne fuyons pourtant le trespas qui nous suit ;

Allons y à regret, L’Éternel nous y traine.
Allons y de bon cueur, son vouloir nous y meine.
Plustost qu’estre trainé mieus vaut estre conduit.


XVI.


Autre vie, autre estat, autre Cité plus belle
Nous reste apres la mort, & ce bien-heureus jour
Qui nous retirera de ce mortel sejour
Est la nativité d'une vie Eternelle.

Tout ce que du grand Ciel la couverture celle
Soit bagues, soit vaisseaus elabourez au tour,
Soit pierres, soit joyaus, soit robes de velour
Sont meubles du logis ou nostre esprit hostelle :

On n'emporte non plus que l'on à apporté,
Ce qui couvre nos cors nous sera tout osté.
L'entree, & la sortie en ce monde est semblable.

Allez donc maintenant avares effrenez,
Et de tant de thresors injustement gaignez,
N'emportez qu'un linceul sous la tombe effroyable.