Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/119

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montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se dérouloient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersoient en légers flocons d’écume, ou formoient dans les cieux des bancs d’une ouate éblouissante, si doux à l’œil, qu’on croyoit ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène sur la terre n’étoit pas moins ravissante : le jour bleuâtre et velouté de la lune descendoit dans les intervalles des arbres, et poussoit des gerbes de lumière jusque dans l’épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui couloit à mes pieds tour à tour se perdoit dans le bois, tour à tour reparoissoit brillante des constellations de la nuit, qu’elle répétoit dans son sein. Dans une savane, de l’autre côté de la rivière, la clarté de la lune dormoit sans mouvement sur les gazons ; des bouleaux agités par les brises et dispersés çà et là formoient des îles d’ombres flottantes sur cette mer immobile de lumière. Auprès tout auroit été silence et repos sans la chute de quelques feuilles, le passage d’un vent subit, le gémissement de la hulotte ; au loin, par intervalles, on entendoit les sourds mugissements de la cataracte du Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeoient de désert en désert et expiroient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l’étonnante mélancolie de ce tableau ne sauroient s’exprimer dans les langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain dans nos champs cultivés l’imagination cherche à s’étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes ; mais dans ces régions sauvages l’âme se plaît à s’enfoncer dans un océan de forêts, à planer sur le gouffre des cataractes, à méditer au bord des lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu.


CHAPITRE XIII.

L’Homme physique.



Pour achever ces vues des causes finales, ou des preuves de l’existence de Dieu tirées des merveilles de la nature, il ne nous reste plus qu’à considérer l’homme physique. Nous laisserons parler les maîtres qui ont approfondi cette matière.

Cicéron décrit ainsi le corps de l’homme :

À l’égard des sens[1], par qui les objets extérieurs viennent à la connaissance de l’âme, leur structure répond merveilleusement à leur destination,

  1. De Nat. Deor., t. II, 56, 57 et 58, trad. de d’Olivet.