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L’AFFAIBLISSEMENT DE LA NATALITÉ FRANÇAISE

ou la passion, le devoir. Du moment où la natalité est régie par la volonté, elle sera sous la dépendance de ces facteurs, dont il importe d’analyser et de dégager l’influence.

Mais la difficulté devient extrême. La science sociale n’a pas, comme la physiologie, la ressource de l’expérimentation pour étudier tour à tour chacune des causes qui collaborent à un fait, et en découvrir la loi. Elle est tenue de prendre ce fait en bloc, tel qu’il apparaît, avec la complexité des causes qui ont concouru à le produire. Si ces causes sont contradictoires, tirent en sens inverse, il arrivera que telle ou telle d’entre elles sera masquée par telle ou telle autre qui aura prédominé dans la formation de la résultante. On pourra être ainsi conduit à nier l’influence de la première de ces deux causes en lui opposant la négation par le fait. Par exemple, l’on dira, avec M. Charles Richet, « qu’il est difficile d’attribuer aux sentiments religieux un rôle quelconque dans la fécondité, » puisque la natalité est deux fois et demie moindre dans les quartiers de la Madeleine et de Saint-Thomas-d’Aquin que dans ceux du Pont-de-Flandre et de la Goutte-d’Or. Ainsi encore, on montrera, avec M. Levasseur, que, malgré l’identité du régime successoral en France, en Belgique, en Hollande, dans la Prusse-Rhénane, ces pays offrent des natalités extrêmement dissemblables, qui vont de 23 à 39 pour 1 000, et l’on sera tenté d’en conclure que l’action des lois est, sinon nulle, du moins secondaire sur la fécondité. De même, enfin, pour refuser toute influence à la richesse sur ce phénomène, on montrera que la natalité est faible à la fois dans les départements pauvres[1] tels que le Gers [15], la Creuse [20], les Basses-Alpes [22], et dans les départements riches, tels que la Gironde [19], le Calvados [20] ; qu’elle est forte dans les départements les plus différents au point de vue de la richesse, comme la Lozère [28], le Finistère [31], d’une part, et de l’autre, comme le Nord et le Pas-de-Calais [30].

En un mot, il n’est pas de cause qui, soumise à cette épreuve, y résiste. On arrive ainsi par des éliminations successives à l’inexplicable, au fatalisme, et l’on peut dire, en s’installent en triomphateur sur les ruines des divers systèmes, ce que Pascal disait de l’homme : « Je le contredis toujours, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible[2]. »

  1. Nous avons pris, comme critérium de la richesse des départements, la valeur du centime départemental. Voici la valeur de ce coefficient, en 1887, pour les départements cités dans le texte (la moyenne étant de 41 885 fr.) :
    Gers, 24 223 fr. — Creuse, 12 124 fr. ― Basses-Alpes, 9 510 fr. — Lozère, 8 518 fr. — Finistère, 32 621 fr. — Gironde, 95 295 fr. — Calvados 62 704 fr. — Nord, 148 581 fr. ― Pas-de-Calais, 67 367 fr.
  2. Les Pensées, article VIII, p. 155.