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— briser le blocus, tout est là. Aurons-nous assez de torpilleurs ? »

Il s’interrompt, lève les yeux. Sur le rayon de fer forgé qui lui sert de bibliothèque, ses livres, une collection fort libertine, font maintenant tache avec leur reliure de peluche grise. Il sourit : au temps où il lisait ces choses, quel étonnement, si un sorcier lui avait prédit qu’un jour il remplacerait le marquis de Sade par le commodore Mahan ! Il fredonne :

— « Pour l’amour d’une blonde

D’une blonde aux yeux bleus… »


C’est une chanson de Sélysette. Il s’interrompt, sérieux :

« … Le clair de tout cela, c’est que plus jamais je ne pourrai me passer d’elle… »

Mme Abel, la femme du lieutenant-gouverneur, recevait tous les mardis, de six à sept. Fierce s’y rendait régulièrement, par obligation professionnelle d’abord, — l’aide de camp de l’amiral devait sa visite au second magistrat de Saïgon, — et par goût aussi pour la femme aimable qui était des intimes de Mme Sylva. Mme Abel valait mieux que sa belle fille. Marthe déplaisait à Fierce par sa froideur polie sous quoi disparaissait une pensée toujours inconnue ; tandis que sa belle-mère, nullement sotte ni candide,