Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/26

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— Oui ? railla Torral. Tes belles amies se plaignent de toi, après ? »

C’est une propriété connue de l’opium, de refroidir fâcheusement les amoureux.

— « Elles se plaignent, prononça philosophiquement le beau docteur. Et le plus triste, c’est qu’elles n’ont pas tort. Hélas ! mon cher, j’ai trente ans.

— Moi aussi, » dit Torral.

Le médecin le soupesa des yeux, puis haussa les épaules.

— « Ça paraît moins sur la peau, ça marque plus dans la moelle, conclut-il. À chacun sa part de vieillesse. Et puis tant pis. La vie vaut qu’on la vive.

— D’ailleurs, observa l’ingénieur, nos mères ne nous ont pas consultés avant d’accoucher de nous… Pourquoi vient-il, Fierce ? Ce n’est pas la saison.

— Son croiseur arrive du Japon ; personne ne sait pourquoi. D’ailleurs, on ne pénètre jamais la philosophie des manœuvres maritimes ; plus que probablement, Fierce n’en sait pas plus que nous, et sa vieille bête d’amiral un peu moins.

— C’est très civilisé, dit Torral, d’ignorer où l’on va et de ne pas s’en soucier. Sous condition de n’avoir jamais à me battre — ce qui est trop grotesque — j’accepterais d’être officier de marine… quoique ça sonne bien bête, officier.

— Fierce est marin comme il serait autre chose.

— Non, dit l’ingénieur. Il est marin par atavisme. Il a eu des tas de gens à sabre et à longue-vue parmi ses arrière-grands-pères, et ça a déteint sur lui. Il