Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/91

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Il donna un dernier regard au fleuve bordé par la forêt.

— « Bonne ville, Saïgon… »

C’était dimanche, — le 2 janvier ; l’amiral donnait tout à l’heure un déjeuner intime. Fierce, ennemi des corvées mondaines, acceptait celle-ci, parce que la petite Abel y devait assister, — la fille du lieutenant-gouverneur, la délicieuse statue d’albâtre aux yeux de sphinx, qui, le premier jour, l’avait séduit, et le tentait davantage à chaque rencontre. — Étrange fillette, pensait-il ; une eau dormante qui donne envie d’y jeter une pierre pour voir ce qui monterait à la surface. — Au déjeuner assisteraient, outre les Abel, le gouverneur général, ancien ami du duc d’Orvilliers, et une pupille à lui, jeune fille que sa mère, veuve et aveugle, n’accompagnait pas dans le monde. Fierce, dans la salle à manger déjà servie, s’occupa des fleurs et chercha sur les étagères les cloisonnés nippons de l’amiral pour les emplir de roses et d’orchidées. Tout en disposant sur les menus des femmes leurs bouquets de corsages, il lut les noms calligraphiés, et s’arrêta à la pupille du gouverneur avec une réminiscence confuse, — Mlle Sylva, — Sylva ? — Il questionna l’amiral, qui, dans son cabinet, repliait des plans de batteries.

— « Comment, fit d’Orvilliers, vous ne vous souvenez plus ? mais c’est de l’histoire ! »

Il raconta :

Mademoiselle Sylva n’était rien de moins que la