Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/94

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Mlle Sylva n’était ni maigre, ni brune, ni fatale, mais toute rose et blonde, avec des yeux pers qu’on remarquait d’abord, parce qu’ils étaient très grands et regardaient très droit.

Elle sauta sans toucher à la main offerte ; elle sauta hardiment ; Fierce vit qu’elle était souple et robuste, quoique fine. Il monta derrière elle, et, sur le pont, lui offrit le bras. Les clairons sonnaient aux champs pour le gouverneur. Elle s’arrêta en levant les yeux vers l’écusson des armes du navire ; et Fierce l’entendit épeler la devise : Sans peur et sans reproche.

Il la regarda tandis qu’ils marchaient : elle avait un teint de pastel, un front bien pur, une bouche fière et malicieuse, — et sur tout cela, un charme répandu de jeunesse, de grâce et de sincérité. Il la trouva immédiatement délicieuse, et il oublia Mlle Abel. Cependant, lorsqu’il les vit l’une auprès de l’autre dans le salon de poupe, il dut s’avouer que le sphinx d’albâtre l’emportait sans conteste par sa beauté régulière et l’énigme de ses yeux profonds. Mais il en fut secrètement dépité, comme d’un échec personnel, — et sourit plus tard avec une sorte d’orgueil, quand il constata que, moins belle, Mlle Sylva demeurait plus jolie, parce que plus vivante, plus femme et moins statue.

À table, ils furent voisins. La salle à manger de l’amiral était aérée par deux sabords d’angles qui servaient d’embrasures aux canons de retraite ; ces canons encombraient un peu ; mais ils étaient une originalité pour des yeux de femme, et Mlle Sylva les admira ; Fierce, complaisamment, fournit quelques