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au soir de la pensée

rité. Amorce vulgaire d’un idéalisme grossier entre la crainte de l’enfer et l’appât du paradis, ou noblesse d’un idéal au-dessus des rémunérations — nous y chercherons le couronnement d’un état supérieur de nous-mêmes où se rejoignent toutes évolutions du connu et de l’inconnu, dans la sensation d’un moment dont l’abnégation peut être la cime.

L’individu y doit-il rencontrer le « bonheur » ? Cela dépendra de son interprétation personnelle de lui-même. « Le bonheur, remarque Cabanis, consiste dans le développement de l’individu. » Il est vrai. La civilisation, pourtant, n’est pas et ne peut pas être une entreprise de bonheur universel. En développant l’homme dans ses plus hautes directions, elle accroît la qualité de son bonheur personnel lié à celui des autres, en même temps qu’elle fournit à chacun un surcroît de moyens dont il saura ou ne saura pas profiter.

La personnalité s’insère ainsi, à toute heure, dans l’immense coordination des complexités, connues et inconnues, du monde en éternel devenir, où l’abnégation du Moi qui l’élève au-dessus de la foule, le magnifie au plus vif de son apogée.

Que dire des répercussions de nos actes sur autrui et sur nous-mêmes ? Au moment de choisir entre son Moi et l’autre, chacun prononce d’abord sur lui-même, et d’une façon plus décisive et plus durable à la fois. Que l’égoïsme ou l’altruisme fasse pencher la balance, le mouvement d’entr’aide aura marqué son passage en quelque façon. Si « l’habitude » de Lamarck aboutit, par une gymnastique appropriée, à un renforcement du processus évolutif, notre activité d’altruisme nous assurera des renouvellements d’énergie pour un meilleur développement de nous-mêmes, fatalement destiné à retentir sur autrui. Nous nous serons ainsi faits meilleurs, et, partant, plus proches de tous, quand nous aurons élevé, renforcé l’activité de notre évolution d’altruisme en laquelle se concilient l’intérêt personnel et l’intérêt de nos compagnons d’humanité. Mieux encore, l’achèvement nouveau retentira, par l’hérédité, sur notre descendance, et se propagera, par les voies de l’exemple, dans l’ambiance humaine dont les puissances d’achèvement seront ainsi régénérées.

Au lieu donc que notre action individuelle s’éteigne avec l’accomplissement organique de notre activité, nous la verrons