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et après ?

le ressaut d’un repentir tardif, d’autant plus cruel qu’il est d’inutile retour, tandis que le meilleur de l’être, « épuré par la mort », s’offre en rachat aux survivants qui ont besoin des leçons de l’exemple pour être en état de se comparer.

Cette survivance d’idéalisme serait-elle donc moins belle que celle qui nous est proposée aux fins théâtrales de l’enfer et du paradis ? Non. Nous pouvons hautement parler d’une épuration de la vie par la mort à la condition que la vie qui s’éteint se soit montrée, dans ses retentissements, digne d’être épurée. Collaboration de la mort à la dignité de la vie. Pour atteindre au plus haut de la noblesse humaine, j’ai noté que ni l’Hellène, ni le fils d’Israël n’eurent besoin de l’appât d’une survie. Socrate serait moins grand s’il avait invoqué l’espoir d’une récompense céleste. Pour en finir avec les hommes, Phocion paya de ses deniers le broyeur de ciguë, fatigué, qui voulait renvoyer l’exécution de la sentence au lendemain.

Eh oui, longtemps, très longtemps avant le triomphe de la connaissance expérimentale, une émotivité supérieure avait élevé des maîtres d’idéalisme jusqu’à des sommets de pensées d’où toute la plaine des humains pouvait être dominée. Ils ne venaient pas, ils ne pouvaient pas encore venir du laboratoire. Du premier essor d’une sentimentalité irrésistible, ils avaient proclamé, dans l’homme, le besoin d’une synthèse d’idéal avant d’avoir pu reconnaître les chemins de l’expérience. Notre élan de recherche ne s’épuise pas tout entier aux résistances des phénomènes. Le prestige de la connaissance positive appelle au grand jour nos suprêmes ressources de volonté.

Le sursaut d’idéalisme ne s’obtient pas par des raisonnements. Le sentiment s’élève à mesure que l’homme développe l’effort à tout prix. Si le principe dirigeant de l’humanité ne peut être de fuir la douleur à tout prix, s’il est même beau de l’accepter en dédain, sinon de la rechercher en mépris, comme les grands martyrs, pour la fierté d’un accomplissement supérieur, « l’idéal » saura porter l’homme jusqu’au plus haut de sa propre destinée par la noblesse des souffrances au service d’une idée. Le plus beau des grandes causes où s’attache le meilleur de l’existence humaine s’exprime en la magnifique cohorte de ces héros, connus ou inconnus, qui ont voulu les sacrifices d’une vie sans récompense, pour l’âpre joie du devoir désintéressé.