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LES CAHIERS

garçons et quatre filles, ce qui fait trente deux. Je crois que c’est suffisant.

Je suis, comme j’ai dit, de la seconde femme ; la troisième était notre servante. Elle avait dix-huit ans ; on l’appelait la belle ; aussi, au bout de quinze jours, elle se trouvait enceinte et par conséquent maîtresse de la maison. Vous pensez bien que cette marâtre prit toute l’autorité.

Voyez ces pauvres petits orphelins battus nuit et jour ! Elle nous serrait le cou pour nous donner de la mine[1]. Cette vie durait depuis deux mois lorsque mon père l’épousa. Ce fut bien le reste.

Tous les jours le père revenait de la chasse. « Ma mie, disait-il, et les enfants ? — Ils sont couchés », répondait la marâtre.

Et tous les jours la même chose… Jamais nous ne voyions notre père ; elle prenait toutes ses mesures pour éviter que nous puissions nous plaindre. Cependant sa vigilance fut bien déçue lorsqu’un matin nous trouvant en présence de mon père moi et mon frère, les larmes sur nos figures : « Qu’avez-vous ? demanda-t-il. — Nous mourons de faim ; elle nous bat tous les jours. — Allons ! rentrez, je vais voir cela. »

Mais cette dénonciation fut terrible. Les

  1. Coignet note un seul détail pour faire juger de leur état de famine : « Nous avions découvert des pois ronds dans un sac. Tout fut mis au pillage. »