Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/264

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voile qu’on eût conservée depuis long-temps fut serrée. Jasper mit la barre au vent ; un bout de voile d’étai fut largué sur l’avant, et le léger cutter, comme s’il eût senti qu’il était alors gouverné par une main qu’il connaissait, fit une abatée et tomba dans le creux des lames. Cet instant de danger fut bientôt passé ; et le moment d’après, le petit bâtiment s’avança vers les brisants avec une rapidité qui menaçait de le voir bientôt brisé sur les écueils. La distance était si courte que cinq à six minutes suffirent pour tout ce que désirait Jasper. Il mit la barre dessous, et l’avant du Scud revint au vent, malgré la violence de l’eau, avec autant de grâce que le cygne varie la ligne de ses mouvements sur la surface d’un étang. Un signe de Jasper mit tout en activité sur l’avant. On laissa tomber à la mer une ancre à jet de chaque côté du cutter pour servir d’empennelures aux grandes ancres. La force du courant fut alors visible pour tous les yeux, et même pour ceux de Mabel, car les deux câbles filèrent avec rapidité en se roidissant. Jasper laissa mouiller ses deux grandes ancres, en filant les câbles presque jusqu’au bout. Ce n’était pas une tâche très-difficile que de fixer une coquille aussi légère que le Scud avec de bonnes ancres et des câbles de premier brin ; et en moins de dix minutes, à partir du moment où Jasper avait pris le gouvernail, le cutter présentait le cap à la lame avec ses deux câbles en barbe, roides comme des barres de fer.

— Cela n’est pas bien, maître Jasper, — s’écria Cap avec colère, dès qu’il se fut aperçu du tour qui lui avait été joué, — cela est fort mal, monsieur. Je vous ordonne de couper les câbles et de faire échouer le cutter sans un instant de délai.

Personne ne parut pressé d’exécuter cet ordre, car depuis que Jasper avait repris le commandement, son équipage était disposé à n’obéir qu’à lui. Voyant que tous les matelots restaient immobiles, et croyant le cutter dans le plus grand danger, Cap se tourna vers Jasper, et, après quelques réprimandes faites d’un ton courroucé, et qu’il est inutile de rapporter ici, il ajouta :

— Pourquoi n’avez-vous pas gouverné vers la crique dont vous parliez ? Pourquoi avez-vous porté sur ce cap qui briserait le bâtiment et ferait périr tout ce qui se trouve à bord si nous y touchions ?

— Et vous voulez à présent couper les câbles, — dit Jasper avec un peu d’ironie, — pour nous faire toucher à ce cap et faire périr tout ce qui se trouve à bord ?

— Sondez et voyez quelle est la dérive ! — cria Cap aux hommes