Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, il l’a fait chevalier, répondit le pilote avec un sourire amer et méprisant. Eh bien ! qu’il prenne un autre vaisseau, qu’il me fournisse l’occasion de le rencontrer, et je lui promets le titre de comte, s’il ne faut pour cela que le vaincre une seconde fois.

— Ne parlez pas avec tant de confiance et de témérité, comme si vous aviez un pouvoir qui vous protége, John. La fortune peut vous abandonner au moment où vous aurez le plus besoin de son aide, et quand vous y songerez le moins. Le prix du combat n’appartient pas toujours au plus fort, ni celui de la course au plus agile.

— Vous oubliez, ma bonne Alix, que vos paroles sont susceptibles d’une double interprétation. Dans l’occasion dont vous parlez, la victoire a-t-elle appartenu au plus fort ? J’avoue pourtant que les lâches m’ont échappé plus d’une fois par leur agilité. Alix Dunscombe, vous ne connaissez pas la millième partie des tortures que m’ont fait éprouver des mécréants de haute naissance, envieux d’un mérite auquel ils ne peuvent atteindre, et qui cherchent à rabaisser la gloire qu’ils n’osent acquérir. N ai-je pas été jeté sur l’Océan comme un navire incapable de tenir la mer, qu’on charge d’un service dangereux, parce que personne ne s’inquiète s’il périra dans cette entreprise ? Combien de cœurs perfides ont triomphé en me voyant déployer mes voiles, parce qu’ils s’imaginaient que j’allais trouver la mort sur un gibet, ou une tombe dans l’Océan ! mais j’ai su les désabuser.

Les yeux du pilote n’avaient plus cette expression de calme et de pénétration qui leur était habituelle, mais ils étincelaient de plaisir et de fierté, et il éleva la voix avec un nouvel enthousiasme.

— Oui, je les ai cruellement désabusés ! ajouta-t-il ; mais le triomphe que j’ai remporté sur mes ennemis vaincus n’est rien auprès des délices dont mon cœur a été enivré en me voyant élevé tellement au-dessus de ces lâches hypocrites. J’ai prié, conjuré les Français de m’accorder le dernier de leurs bâtiments de guerre ; j’ai fait valoir les raisons de politique et de nécessité qui devaient les y déterminer, mais l’envie et la jalousie m’ont dérobé ce qui m’était dû, et m’ont privé de la moitié de ma gloire. On n’appelle pirate ! ce nom est mérité ; je le dois à la parcimonie de mes amis plutôt qu’à ma conduite envers mes ennemis.

— Et de pareils souvenirs, John, ne peuvent-ils faire renaître