Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/154

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— Je crains d’abandonner le soin d’une affaire si délicate à la discrétion seule de ma jeune amie, dit Alix en secouant la tête.

— Songez qu’elle peut faire valoir pour excuse son attachement pour Griffith ; mais vous, oseriez-vous avouer en face du monde que vous en conservez encore quelque reste pour l’homme que vous accablez de tant de termes d’opprobre ?

Une légère rongeur colora les joues pâles de miss Dunscombe, tandis qu’elle répondit d’une voix qu’on entendait à peine :

— Il n’y a plus de motif pour que le monde soit informé d’une telle faiblesse, quand même elle existerait encore. Sa faible rougeur disparut alors, mais ses yeux brillèrent d’un feu extraordinaire pendant qu’elle ajoutait : — On ne peut me prendre que la vie, John, et je suis prête à la sacrifier pour vous.

— Alix, s’écria le pilote d’une voix attendrie, ma bonne et douce Alix !

La sentinelle frappa à la porte en ce moment critique, et sans attendre qu’on lui répondît, elle entra dans la chambre et déclara dans les termes les plus pressants qu’il était indispensable que la dame se retirât à l’instant même. Alix et le pilote, qui désiraient s’expliquer davantage relativement au projet d’évasion, lui demandèrent en peu de mots quelques instants de répit ; mais la crainte de s’exposer à quelque châtiment rendit le soldat inébranlable, et celle d’être surprise dans cet appartement détermina miss Dunscombe à partir. Elle se leva donc, et, suivant le factionnaire, elle se retirait à pas lents, quand le pilote lui touchant la main, lui dit à l’oreille d’un ton expressif :

— Alix, nous nous reverrons avant que je quitte cette île pour toujours ?

— Nous nous reverrons demain matin, John, lui répondit-elle sur le même ton, dans l’appartement de miss Howard.

Le pilote laissa tomber la main qu’il avait prise ; Alix sortit, et la sentinelle impatiente ferma bien vite la porte à double tour. Le prisonnier écouta le bruit de leurs pas, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtassent à la porte de la chambre voisine, et il se remit à parcourir à grands pas son appartement, s’arrêtant de temps en temps pour regarder les nuages que le vent chassait avec impétuosité, et les grands chênes dont il forçait la tête orgueilleuse à se courber. Au bout de quelques minutes, la tempête de ses propres passions fit place au calme sombre et désespéré qui l’avait rendu ce qu’il