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francais et espagnols en méditerranée

ii

Les « États francs » d’orient se relient à l’épopée normande de Sicile en ce que le premier de ces États fut créé par un gentilhomme normand, Oursel de Bailleul auquel apparemment les horizons méditerranéens n’avaient point suffi et qui s’en alla guerroyer en Asie-mineure pour le compte de l’empereur grec. Le succès l’encouragea bientôt à travailler pour son propre compte. C’est ainsi que s’étant emparé d’un vaste territoire en Bithynie et en Phrygie, il s’y installa en maître (1071-74). On sait trop peu de choses sur son éphémère royauté. Retrouva-t-il là quelques restes de l’ancien État galate créé par les Celtes une douzaine de siècles avant sa venue ? Quoi qu’il en soit, cette initiative sans lendemain renseigne admirablement sur la psychologie des « conquistadores » français par opposition avec ceux que plus tard l’Espagne lancera à la conquête du nouveau-monde. Les uns et les autres furent déplorablement exempts de scrupules, à quelques exceptions près mais — s’il est permis de parler d’eux sur un ton aussi trivial — les seconds apparaissent plus gloutons et les premiers plus gourmets. Ceux d’Espagne comme nous le verrons en analysant l’histoire sud-américaine, furent surtout mûs par la passion de l’or, par la folie de la richesse. Ceux de France avaient principalement recherché l’inattendu, l’aventure merveilleuse et paradoxale où l’on chevauche les circonstances comme un cheval difficile saisi au passage et maîtrisé. La race en fut longue à s’éteindre. Ne devait-on pas voir vers 1402, Jean de Béthencourt chambellan du roi de France Charles VI s’emparer des îles Canaries et s’en proclamer souverain ? Les îles, du reste, sont particulièrement favorables à ces entreprises individuelles. L’audace et l’énergie ne suffisent en pareil cas que pour s’établir non pour durer. C’est au lendemain de l’établissement que les véritables difficultés commencent. L’insularisme aide à les aplanir. C’est pourquoi les Normands réussirent en Sicile mieux qu’en Italie et pourquoi les croisés se maintinrent à Chypre plus qu’en Syrie ou en Palestine, sans parler de la façon dont à Rhodes et à Malte, les ordres militaires surent résister à l’islam partout ailleurs victorieux.

Au début des croisades, la position stratégique la plus importante à occuper pour en consolider les résultats était assurément le territoire d’Édesse, entre le Tigre et l’Euphrate, proche des chaînes parallèles du Taurus et de l’anti-Taurus. En s’y fortifiant, on coupait en deux le monde musulman. En l’an 146 av. J.-C. avait