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L’EMPIRE BRITANNIQUE

Ce sera l’impérissable honneur de la reine Victoria que son nom demeure attaché à l’édification d’un système politique original et grandiose — l’empire britannique — en même temps qu’à un essai prolongé de redressement moral. Que cette dernière tentative paraisse avoir finalement échoué ne doit pas rendre injuste envers les artisans d’un noble effort. À vrai dire, l’Angleterre du début du xixme siècle avait singulièrement besoin qu’on la régénérât. Maintenue et comme galvanisée par la lutte acharnée qu’elle avait fournie contre Napoléon Ier, elle y avait acquis des énergies appréciables mais qu’animait un matérialisme égoïste et étroit. La lutte terminée, il avait semblé que la nation ne connut plus de directives, n’eût plus de mandat à exercer, rien que des appétits individuels à satisfaire. La royauté, le parlement, l’Église, les classes possédantes se montraient également déchues. L’amoralisme commençait de se manifester dès le collège ; la vie publique et la vie privée en étaient imprégnées. Aucun remède apparent. Depuis l’émancipation américaine, nul ne croyait à l’avenir colonial ; celui de la mère-patrie elle-même n’inspirait qu’une confiance mitigée. À peine si, au milieu de la corruption ambiante se dressaient çà et là quelques isolés pour qui le bien public n’était pas un vain mot et que leur force de caractère incitait à résister à l’abaissement général. Ceux-là ne pouvaient oublier qu’un William Pitt[1] leur avait, à travers les plus tragiques péripéties, donné un magnifique exemple de persévérance et de sang-froid.

  1. William Pitt appelé au pouvoir en 1784 avait commencé aussitôt d’améliorer les conditions financières déplorables engendrées par la guerre d’Amérique. En deux ans il avait réussi à réduire d’un quart environ les dépenses publiques et à accroître les recettes de près d’un tiers ; le budget de 1790 avait été présenté en équilibre et le cours du 3 % descendu à 56 s’était relevé à 97. Appuyer la politique sur les affaires sans perdre de vue les intérêts des masses répondait à son instinct. Mais la destinée l’en avait détourné en le dressant contre la France révolutionnaire et napoléonienne dont l’action menaçait la fortune de l’Angleterre en même temps que ses principes politiques. Il soutint l’aventure avec conviction mais non sans déplaisir car l’œuvre rénovatrice à laquelle il eût voulu s’employer s’en trouvait compromise. Une fois son parti pris, il fit preuve d’une énergie et d’une ténacité indomptables. Pitt mourut en 1806 affligé par les triomphes de Napoléon mais ne doutant point de leur caractère éphémère.