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SEIZIÈME SIÈCLE.

Oh ! si j’estois en ce beau sein ravie
De celui-là, pour lequel vois[1] mourant ;
Si, avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m’empeschoit envie[2],

Si m’acollant, me disoit : chère amie,
Contentons-nous l’un l’autre, s’asseurant
Que, jà tempeste, Euripe, ne courant,
Ne nous pourra desjoindre en notre vie ;

Si, de mes bras le tenant acollé.
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aise envieuse ;

Lorsque souef[3] plus il me baiseroit,
Et mon esprit sur ses lèvres fuiroit,
Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse[4].


Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
À l’heur[5] passé avec toy regretter ;
Et qu’aus sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart lut, pour tes grâces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien, fors que toy, comprendre ;

Je ne souhaitte encore point mourir :
Mais, quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassée et ma main impuissante.

Et mon esprit, en ce mortel séjour,
Ne pouvant plus montrer signe d’amante ;
Priray la Mort noircir mon plus cler jour.

  1. Pour vais.
  2. C’est-à dire : si l’envie ne m’empêchait de vivre avec lui le reste de mes courts jours.
  3. Suavement, doucement.
  4. C’est à-dire : heureuse
    plus que personne au monde.
  5. C’est-à-dire : pour regretter le bonheur passé.