Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/189

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si donc vous n’êtes pas encore partis, venez avec le préfet Son-kie-tsong, mais qu’aucun chrétien ne vous suive. »

Cette double démarche de Mgr Imbert, de se livrer lui-même, puis de donner à ses missionnaires l’ordre de se livrer, a été différemment appréciée, et il est assez difficile, humainement parlant, de porter un jugement sur un acte de cette nature, que les diverses circonstances de temps et de lieu peuvent seules expliquer complètement. Il est certain, en règle générale, que l’on ne peut pas s’offrir de soi-même aux persécuteurs, surtout quand une chrétienté tout entière doit, en conséquence, se trouver sans pasteur, abandonnée à la rage des bourreaux ; mais il est certain aussi, que plusieurs fois, depuis l’origine de l’Église, l’esprit de Dieu a inspiré à ses fidèles serviteurs des résolutions semblables, contraires en apparence à toutes les règles de la prudence chrétienne. Voici ce que dit à ce sujet le promoteur de la foi, dans l’introduction de la cause de ces martyrs :

« L’évêque pouvait-il écrire à ses missionnaires un ordre ou une invitation de se livrer eux-mêmes, lorsqu’il savait de science certaine qu’ils seraient martyrisés ? Les missionnaires pouvaient-ils, devaient-ils obéir à un tel ordre, ou suivre un tel conseil, avec la prévision d’être infailliblement envoyés à la mort ? C’est à Vos Éminences qu’il appartient de juger la question. Pour moi, il me semble que le cas ne présente aucune difficulté, quand on se rappelle les circonstances très-graves dans lesquelles ils se trouvaient. La persécution sévissait avec rage. Tous, magistrats, juges, mandarins, peuple, connaissaient la présence de trois Européens en Corée. C’était surtout pour découvrir leur retraite et s’emparer d’eux, que l’on arrêtait et que l’on martyrisait les chrétiens dont un grand nombre, incapables de résister aux tortures, tombaient misérablement dans l’apostasie. En un mot, on pouvait raisonnablement supposer qu’à cause d’eux seulement, la persécution était si terrible, qu’eux découverts, arrêtés et mis à mort, elle serait à tout le moins très-diminuée. Dans un tel état de choses, il me semble qu’ils auront dit comme Jonas (c. i, v. 12) : Prenez-moi et jetez-moi à la mer, et la mer se calmera… car c’est à cause de moi que s’est élevée cette violente tempête. Je crois donc que l’ordre ou le conseil donné par l’évêque n’a été ni imprudent, ni digne de blâme, que l’obéissance des missionnaires a été héroïque, et que tous les trois se sont sacrifiés volontairement pour obtenir la cessation, ou au moins une sensible diminution d’une aussi épouvantable calamité. En un mot, ils se sont sacrifiés pour le