Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/32

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changea jamais de langage : dès lors, je lui permis de me suivre. Ce jeune homme m’a été très-utile ; il est d’une activité et d’une résolution peu ordinaires parmi ses compatriotes. À pied ou sur une mauvaise monture, il a déjà fait plus de chemin, pour m’être utile, qu’il n’y en a de Péking à Paris ; et cependant il est d’une santé très-frêle. Quand mes affaires furent terminées à Singapour, je pris congé des chrétiens ; je les exhortai à conserver la paix et la concorde avec tout le monde ; je laissai à M. Clemenceau le soin de leur construire une église dont, peu de temps après, j’appris l’érection ; et je partis.

« Le 12 septembre, nous fîmes voile pour Manille ; mais à peine étions-nous en mer, que le vaisseau qui devait me porter gratuitement à Macao, arriva. Il m’en coûta donc près de mille francs, pour m’être un peu trop pressé.

« Notre capitaine était un homme simple et religieux ; il était toujours en prières, pour obtenir du bon Dieu qu’il lui conservât son vaisseau ; il avait une peur terrible des typhons. Comme j’avais éprouvé, quelques années auparavant, une affreuse tempête dans ces parages, il me consultait avec une confiance qui m’étonnait. « Que pensez-vous de ce temps-ci ? me disait-il. Quels sont les signes avant-coureurs des typhons ? Quelle manœuvre fait-on quand on en est menacé ? » Je lui disais ce dont je pouvais me souvenir. Toutes les fois que nous avions du gros temps, il était fidèle aux instructions que je lui avais données : il n’avait jamais voyagé sur les mers de Chine. Le bon Dieu nous accorda une navigation heureuse. Le typhon nous avait devancés à Manille, où il avait fait du dégât ; nous en fûmes quittes pour la peur.

« Nous arrivâmes dans la baie de Manille un lundi 1er octobre ; mais quand nous fûmes à terre, nous nous trouvâmes encore au dimanche 30 septembre. Les Espagnols ont découvert les Philippines en faisant voile d’orient en occident, par l’Amérique et l’océan Pacifique. Aujourd’hui, l’on va dans ces îles en naviguant d’occident en orient, en doublant le cap de Bonne-Espérance et par la mer des Indes : c’est l’unique cause de ce phénomène singulier.

« Quand on eut jeté l’ancre, je ne savais comment faire pour descendre à terre et retirer mes effets ; je n’avais point d’argent pour payer le transport. Une heureuse circonstance me tira d’embarras. Le capitaine espagnol qui vint reconnaître le navire, ayant su que j’étais ecclésiastique, me pria de lui faire l’honneur d’accepter sa chaloupe ; je n’eus garde de refuser. Il me traita