Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/541

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Mgr Berneux était âgé de près de cinquante-deux ans ; il y avait dix ans qu’il travaillait en Corée. L’histoire des progrès étonnants de la mission, pendant ces dix années, nous a montré ce qu’il était comme vicaire apostolique ; quelques mots sur sa vie privée et sur son caractère personnel, nous le feront connaître et apprécier encore davantage. En annonçant au séminaire des Missions-Étrangères la nouvelle de son martyre, M. Féron écrivait : « À une piété angélique, à un zèle ardent pour le salut des âmes, Mgr Berneux joignait une connaissance profonde de la théologie et une capacité rare pour l’administration. Son activité ne lui laissait aucun repos. Je n’ai jamais pu comprendre comment il suffisait seul à ce qui eût occupé trois ou quatre missionnaires, comment il pouvait entrer dans le plus petit détail de toutes les affaires, spirituelles ou temporelles. Il avait le district le plus vaste, une correspondance très-étendue avec les missionnaires et les chrétiens ; il était le consulteur universel, le procureur de la mission ; il donnait à la prière un temps considérable ; et, néanmoins, quand un missionnaire allait le voir, il semblait n’avoir rien à faire que de l’écouter, de s’occuper de lui, de le récréer par sa conversation pleine d’esprit et d’amabilité. Il n’était pas, ce semble, naturellement porté à l’humilité ni à la douceur. On devinait que, s’il n’eût été un saint, sa fermeté serait devenue aisément de la tyrannie, et sa plaisanterie du sarcasme. Mais la grâce avait tout corrigé. On pouvait le contredire sur tout ; il savait mettre tout le monde à l’aise, et ses lettres à ses missionnaires contenaient toujours quelque mot d’affectueuse tendresse. Sa modestie était portée à un excès qui nous faisait quelquefois sourire, et dont le bon évêque riait le premier, mais sans en rien rabattre. Quant à sa nourriture, lorsqu’il était seul, un peu de riz et quelques légumes, c’était tout. Il s’était interdit le vin de riz dans ses dernières années. Jamais ni la viande, ni le poisson, ni même les œufs ne paraissaient sur sa table, sinon quand il recevait quelqu’un de nous. Alors il faisait tous ses efforts pour bien traiter son hôte, et lui, qui ne mangeait jamais de pain quand il était seul, attendu que les Coréens n’en font point, prenait plaisir à pétrir lui-même et à cuire quelques pains pour les offrir à un confrère qui venait le voir, ou les lui envoyer en province par quelque occasion. Un fait vous donnera la mesure de sa mortification : les cruelles douleurs de la pierre, dont il souffrait habituellement, ne lui faisaient interrompre son travail que quand il était gisant à terre, presqu’à l’agonie. Je l’ai vu passer vingt-quatre heures de suite au confessionnal, et comme je me