Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/592

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« Notre position devenait embarrassante. En défalquant les blessés et ceux qui en prenaient soin, il ne restait plus guère que quatre-vingts hommes en état de combattre. Si l’ennemi avait cherché à nous couper la retraite, il aurait pu réussir ou, du moins, nous tuer beaucoup de monde. Les hommes n’avaient pas déjeuné, et le cheval qui portait notre repas avait passé à l’ennemi. Le docteur pansa les blessés : on dressa des brancards où étaient portés ceux qui ne pouvaient marcher, et nous pûmes enfin rejoindre la grand’route. Les hommes valides formaient l’arrière-garde pour maintenir l’ennemi à distance respectueuse. Trois fois les Coréens essayèrent de sortir, mais à chaque tentative, ils perdirent plusieurs hommes, et finirent par renoncer à la poursuite. Du reste, ils étaient satisfaits, et, montés sur les murailles, ils poussaient des acclamations et des cris sauvages, pour se féliciter de leur triomphe sur les barbares de l’Occident.

« Je ne veux porter aucun jugement sur cette affaire. Peut-être cependant y avait-il quelque imprudence à lancer cent soixante hommes, sans un seul canon, contre une forteresse que l’on savait contenir au moins huit cents ennemis. Le premier débarquement et la prise de Kang-hoa avaient offert si peu de difficultés, que l’on s’habituait à aller à l’attaque comme à une promenade. Cependant la résistance que l’on avait rencontrée à la porte de Séoul, aurait pu donner à penser. Heureusement nous n’avions pas un homme tué ; nous revînmes lentement au camp de Kak-kok-tsi, bien tristes et bien fatigués. Tous ont été admirables d’attention et de charité pour les blessés, et j’étais ému jusqu’aux larmes en voyant avec quelle affection toute maternelle, ces marins à rude écorce savaient soigner leurs compagnons. L’amiral qui avait le pressentiment de quelque mésaventure, vint au-devant de nous, avec une partie de son état-major. Il nous rencontra à une demi-lieue du camp. Il fut très-affecté de ce mauvais succès, et adressa quelques paroles d’encouragement à chacun des blessés. Il était nuit lorsque nous arrivâmes.

« Le lendemain, à huit heures du matin, j’appris que l’on avait décidé l’évacuation immédiate. Les troupes qui étaient dans la ville de Kang-hoa y mirent le feu, et se replièrent sur le campement près du rivage. La ville fut entièrement brûlée. Malheureusement ce départ précipité ressemblait beaucoup à une fuite, car ce n’était pas en prévision d’une aussi prompte retraite que l’on avait commencé des travaux de fortification, tant à la ville que sur les collines voisines du camp. On avait voulu emporter de Kang-hoa une grosse cloche en bronze ; elle était à moitié route,