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DE L’ART DRAMATIQUE

du ton majestueux exclusivement admis dans la tragédie française ; car il est impossible de faire connoître les défauts et les qualités d’un homme, si ce n’est en le présentant sous divers rapports ; le vulgaire dans la nature se mêle souvent au sublime, et quelquefois en relève l’effet : enfin, on ne peut se figurer l’action d’un caractère que pendant un espace de temps un peu long, et dans vingt-quatre heures il ne sauroit être vraiment question que d’une catastrophe. L’on soutiendra peut-être que les catastrophes conviennent mieux au théâtre que les tableaux nuancés ; le mouvement excité par les passions vives plaît davantage à la plupart des spectateurs que l’attention qu’exige l’observation du cœur humain. C’est le goût national qui seul peut décider de ces différents systèmes dramatiques ; mais ce qui est juste, c’est de reconnoître que, si les étrangers conçoivent l’art théâtral autrement que nous, ce n’est ni par ignorance, ni par barbarie, mais d’après des réflexions profondes et qui sont dignes d’être examinées.

Shakespear, qu’on veut appeler un barbare, a peut-être un esprit trop philosophique, une pénétration trop subtile pour le point de vue de la scène ; il juge les caractères avec l’impartia-