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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

bien combiné de nos chefs-d’œuvre dramatiques : la question seulement est de savoir si en se bornant, comme on le fait maintenant, à l’imitation de ces chefs-d’oeuvre, il y en aura jamais de nouveaux. Rien dans la vie ne doit être stationnaire, et l’art est pétrifié quand il ne change plus. Vingt ans de révolution ont donné à l’imagination d’autres besoins que ceux qu’elle éprouvoit quand les romans de Crébillon peignoient l’amour et la société du temps. Les sujets grecs sont épuisés ; un seul homme, Lemercier, a su mériter encore une nouvelle gloire dans un sujet antique, Agamemnon ; mais la tendance naturelle du siècle c’est la tragédie historique.

Tout est tragédie dans les événements qui intéressent les nations ; et cet immense drame, que le genre humain représente depuis six mille ans, fourniroit des sujets sans nombre pour le théâtre, si l’on donnoit plus de liberté à l’art dramatique. Les règles ne sont que l’itinéraire du génie ; elles nous apprennent seulement que Corneille, Racine et Voltaire ont passé par-là ; mais si l’on arrive au but, pourquoi chicaner sur la route ? et le but n’est-il pas d’émouvoir l’âme en l’ennoblissant ?