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DE L’ART DRAMATIQUE

La curiosité est un des grands mobiles du théâtre : néanmoins l’intérêt qu’excite la profondeur des affections est le seul inépuisable. On s’attache à la poésie, qui révèle l’homme à l’homme ; on aime à voir comment la créature semblable à nous se débat avec la souffrance, y succombe, en triomphe, s’abat et se relève sous la puissance du sort. Dans quelques-unes de nos tragédies il y a des situations tout aussi violentes que dans les tragédies anglaises ou allemandes ; mais ces situations ne sont pas présentées dans toute leur force, et quelquefois c’est par l’affectation qu’on en adoucit l’effet, ou plutôt qu’on l'efface. L’on sort rarement d’une certaine nature convenue, qui revêt de ses couleurs les mœurs anciennes comme les mœurs modernes, le crime comme la vertu, l’assassinat comme la galanterie. Cette nature est belle et soigneusement parée, mais on s’en fatigue à la longue ; et le besoin de se plonger dans des mystères plus profonds doit s’emparer invinciblement du génie.

Il seroit donc à désirer qu’on pût sortir de l’enceinte que les hémistiches et les rimes ont tracée autour de l’art ; il faut permettre plus de hardiesse, il faut exiger plus de connoissance