Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en usage le droit d’examen, et s’était éloigné du catholicisme de Rome. Les Dissidents examinaient à leur tour la religion anglicane, et, profitant du même privilège, ils ne s’écartaient pas moins de la foi qu’on voulait établir, À eux n’appartenaient pas les ridicules et les vices dont la foi aveugle est entachée ; mois en général ils avaient peu de largeur dans les vues ; leur obstination invincible s’attachait à d’inutiles minuties ; leur habitude d’analyse détaillée, d’examen scrupuleux mais quelquefois puéril, de pruderie souffrante et de piété mélancolique, a laissé trace sur les produits de l’intelligence anglaise, depuis Cromwell, et même sur toute la société britannique. C’est leur entêtement, leur amour des arguties, leur esprit borné et subtil ; que Butler, dans son Hudibras, a caractérisés avec une verve si mordante. Ces défauts prêtaient à la satire… oui ; mais leurs ennemis avaient en partage la cruauté, l’intolérance, le pédantisme, la bassesse, le dévouement honteux à toute tyrannie vivante pourvu qu’elle reconnût leurs privilèges, et surtout qu’elle écrasât leurs ennemis.

La grande lutte religieuse et politique était entre ces deux partis, tous deux tenus en bride par le pouvoir, mais qui se trouvaient dans une position bien différente. Les Dissidents étaient victimes, parce qu’une partie de leurs droits leur était enlevée ; les hommes de la Haute-Église, ou du Haut-Vol, se disaient victimes, parce qu’on ne leur permettait ni de dresser les bûchers ni de faire pendre les Dissenters. Aux yeux du gouvernement, les High-Flyers, vieux soutiens du pouvoir absolu, vieux partisans de Charles II et de Jacques Ier, étaient des alliés dangereux ; les Dissenters, nés des cendres de la république, héritiers de Vane et de Pym, haïssaient sans doute les doctrines absolues, mais leur loyauté pour tous les trônes était suspecte. La masse des Tories, réunie sous l’étendard des High-Flyers, vouait exécration aux Dissidents, contre lesquels les Jacobites nourrissaient une haine assez méritée. De leur côté, les Whigs, ou partisans de la révolution nouvelle, ne se laissaient point confondre avec les Dissidents, qu’ils repoussaient, dont ils dédaignaient la sévérité minutieuse, et sur lesquels la tache sanglante échappée des veines de Charles Ier semblait encore empreinte.

Au milieu de tout ce chaos, un homme sortit des rangs des Dissidents, personnifia le génie de leur caste, les défendit, éclaira ses contemporains, et fut martyr de sa supériorité : Daniel de Foe.

Daniel était, selon toute apparente, descendant d’une vieille famille française, dont le nom véritable, de Fol ou Foix, s’est transformé avec le temps. La particule nobiliaire n’a été ajoutée à ce nom que par de Foë lui-même, dont les affaires n’avaient pas été bonnes, et qui, en se jetant dans la carrière polémique, se donna le baptême d’une nouvelle désignation. Sa famille, assez obscure, avait embrassé le puritanisme. Les idées républicaines de la Communauté sous Cromwell, les idées sévères d’une religion toute puissante, d’un Dieu toujours présent, d’une foi et d’une vérité à conserver toute la vie, le pénétrèrent dès son enfance. C’était une de ces maisons bibliques où la vie se passait comme une longue prière. Que mon ame soit avec les puritains anglais ! disait Érasme. En effet rien de plus pur et de plus vertueux que ces hommes ; ce sont eux qui ont fondé les États-Unis de l’Amérique septentrionale ; ce sont les pères de Franklin et de Washington. Dans la famille de de Foë, on se levait à quatre heures du matin pour prier ; avant, après le repas, on priait encore. Le jeûne observé religieusement à certaines époques de l’année, la simplicité des vêtements, l’horreur de touts les amusements frivoles, l’intimité de la conviction, la croyance à une inspiration divine et immédiate, séparaient et séparent encore cette race étonnante du reste de la population anglaise.

De Foë, né en 1661, avait vu périr Algernon-Sydney, Cornish, Armstrong, College, sur un échafaud glorieux ; il partageait toutes les idées des Dissenters. On l’avait élevé pour faire de lui un ministre de cette église ; mais sa famille, effrayée du danger que couraient alors ceux qui professaient les opinions dissidentes, renonça bientôt à ce dessein. Autour de lui bouillonnaient les controverses les terreurs politiques, les haines cachées et ardentes, la licence des Cavaliers la rancune des Presbytériens. La cour était achetée, le roi vendu à la France, la nation écrasée et muette. De Foë, au milieu de cette société en