Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/72

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et comprises que le gouvernail ?

— Le Bancroche, dit Montour à Turenne, c’est dans son genre un homme excellent. Mais, par l’intermédiaire de ses commis, il pousse les voyageurs à la dépense afin de les endetter si lourdement qu’ils ne pourront plus jamais quitter le service de la Compagnie. Dans ce traquenard, il prend les plus habiles et les plus forts. Puis, un engagé qu’il juge indispensable, José Paul, par exemple, peut commettre tous les méfaits ; notre guide a au moins deux bons meurtres sur la conscience. Le Bancroche leur pardonnera tout et les protégera. Il pousse aussi les voyageurs à épouser des Indiennes pour les retenir dans le Nord-Ouest. Tu sais déjà à quoi aboutissent ces unions ? Et la débauche la défend-il, penses-tu ?

Il frappe juste. Turenne ne le laisse pas voir, mais la flèche porte droit dans le milieu de la cible.

Du même mouvement, quelques minutes plus tard, il dit au bourgeoys :

— Turenne, il est surtout frappé par la justice et l’injustice des choses. Aucune considération ne l’empêchera de livrer un meurtrier à la justice. Avec lui, les voyageurs n’obtiendraient pas un crédit plus élevé que leur salaire, et celui qui épouserait une Indienne ne quitterait pas le Nord-Ouest sans ramener femme et enfants.

Toutes les oppositions fines ou grosses entre les deux hommes, Montour les signale à l’un et puis à l’autre ; il les aggrave tellement qu’aucun pont ne saurait plus traverser cet abîme. Et c’est comme s’il leur disait :

— Voyez, vous-mêmes ; vous ne pouvez collaborer ; vous n’avez aucune idée commune ; rendez-vous compte de vos incompatibilités.

Son esprit, d’une qualité spéciale, voit les choses spirituelles aussi distinctement que les matérielles, une maison, un canot, par exemple. Et c’est ce qui donne à son jeu tant de sûreté. Afin de pousser encore plus avant sa pointe, il se forme des thuriféraires.

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