Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/114

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avec ce sourire de satisfaction qui lui était habituel, moi, je suis un homme tout rond, un homme pratique et qui va au fait rondement, et sans chercher midi à quatorze heures. Je suis comme ça. Eh bien ! selon moi, il n’y a pas le moindre mystère, pas la moindre difficulté à traiter avec ces gens-là ; il n’y a qu’à savoir leur langue pour les comprendre et leur parler. Or çà, commissionnaire, mon ami, ne venez jamais me dire ou à personne autre de mes amis, que vous n’avez pas toujours de quoi manger, et du meilleur encore, parce que je sais parfaitement ce qu’il en est, j’ai goûté votre tripe, vous le savez ; ainsi, pas de carottes. Vous comprenez bien ce que tirer des carottes veut dire, hein ? c’est le mot propre, n’est-ce pas ? Ah ! ah ! ah ! Parbleu ! continua l’alderman en se retournant vers ses amis ; c’est la chose du monde la plus facile d’avoir affaire à ces gens-là, il ne faut que savoir leur langue. »

Un fameux homme pour le menu peuple, que l’alderman Cute ! jamais de mauvaise humeur, toujours facile, affable, enjoué, et par-dessus tout d’une finesse !…

« Vous le voyez, mon ami, poursuivit le digne alderman, on débite un tas de sottises à propos du besoin, vous savez ; n’est ce pas le mot consacré ? Ah ! ah ! ah ! Eh bien ! moi, je prétends supprimer ça. On a mis aussi en vogue un certain jargon, comme crever de faim ; eh bien ! moi, je veux aussi supprimer ça ; voilà tout ! Parbleu ! continua-fil, se tournant une seconde fois vers ses amis, vous pouvez tout supprimer avec ces gens-là , il ne faut que savoir la manière de s’y prendre ! »

Trotty prit la main de Meg et la passa sous son bras, sans avoir trop l’air de savoir ce qu’il faisait.

« C’est votre fille, hein ? » dit l’alderman lui passant familièrement la main sous le menton.

Toujours affable avec la classé ouvrière, l’alderman Cute ! Il savait si bien les prendre ! C’est celui-là qui n’était pas fier !

« Où est sa mère ? demanda le digne homme. — Morte, répondit Toby. Sa mère était ouvrière en linge ; Dieu l’a rappelée au ciel lors de la naissance de sa fille.

— Ce n’est toujours pas, je suppose, pour raccommoder son linge là-haut, » remarqua facétieusement l’alderman.

Il est possible que Toby ne fût pas capable de séparer dans son esprit le séjour de sa femme au ciel des humbles soins aux quels elle se livrait en ce monde ; mais, permettez, une simple question. Si Mme Cute, l’honorable épouse de l’alderman, était allée au ciel, M. l’alderman Cute l’aurait-il représentée comme tenant là-haut un état mécanique ou un poste prêtant à rire ?