Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/17

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seuls, que celui-ci, sans aucune espèce de préliminaire, le saisit à la gorge et le secoua d’une si belle manière, qu’on eût dit que sa tête allait se détacher de ses épaules. Le pauvre garçon, tout pétrifié, ne put s’empêcher de tourner des yeux effarés sur le monsieur aux nombreuses dents blanches qui était en train de l’étrangler, et sur les murs de la chambre, voulant au moins, s’il était réellement étranglé, contenter sa curiosité en jetant ses derniers regards sur cette mystérieuse demeure dans laquelle il avait pénétré, imprudence qu’il payait si cher. Enfin il essaya de parler :

« Allons ! monsieur, s’il vous plaît, laissez-moi tranquille.

— Que je te laisse ! dit M. Carker. Comment, que je te laisse ! Je te tiens maintenant ! n’est-ce pas que je te tiens ? La réponse à cette question ne pouvait être qu’affirmative, car il le tenait ferme. Maudit chien que tu es, dit M. Carker serrant les mâchoires, je vais t’étrangler. »

Là-dessus Biler se mit à pleurnicher en disant :

« Est-ce que vraiment il m’étranglera ? Oh ! non, il ne le fera pas. Qu’est-ce qu’il me veut donc celui-là ? Pourquoi n’étrangle-t-il pas quelqu’un d’aussi fort que lui, au lieu de s’en prendre à moi ? »

Le pauvre Biler, en se voyant reçu d’une façon si extraordinaire, avait perdu son aplomb, et lorsque sa tête eut repris une position moins chancelante, qu’il regarda M. Carker dans le blanc des yeux, ou plutôt dans le blanc des dents, et qu’il l’entendit grogner contre lui, il eut peur, il eut la faiblesse de pleurer pour tout de bon.

« Je ne vous ai rien fait, monsieur, dit Biler, autrement Robin, autrement encore le rémouleur, mais dont le vrai nom patronymique était Toodle.

— Jeune drôle, répondit M. Carker, lâchant prise peu à peu et reculant d’un pas pour reprendre son attitude favorite, quelles sont vos intentions en osant venir ici ?

— Je n’ai pas de mauvaises intentions, monsieur, répondit Robin en pleurnichant ; et en même temps il portait une main à sa gorge et se frottait les yeux du revers de l’autre. Je ne reviendrai plus, monsieur ; je venais seulement demander de l’ouvrage.

— De l’ouvrage ! petit Judas ! dit M. Carker en le regardant bien en face ; n’es-tu pas le vagabond le plus fainéant de Londres ? »

Ce reproche, qui affecta beaucoup M. Toodle le jeune, n’en