Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/18

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était pas moins fort mérité ; aussi ne répondit-il rien pour se justifier. Il était là immobile, regardant M. Carker d’un air épouvanté, comme accablé par sa conscience et ses remords. Quant à son regard, M. Carker le fascinait, car il ne le détourna pas un seul instant de lui.

« N’es-tu pas un voleur ? dit M. Carker les mains dans ses poches de derrière.

— Non, monsieur, dit Robin voulant se défendre.

— Si, tu es un voleur.

— Mais non, monsieur, je ne suis pas un voleur, dit Robin en sanglotant. Je n’ai jamais volé, monsieur, croyez-le bien. Je suis entré, c’est vrai, dans une mauvaise route, le jour où je me suis mis à faire la chasse aux moineaux et à parier à la course. Il y a plus d’un bourgeois, bien sûr, dit Toodle dans un accès de repentir, qui pense que des oiseaux qui chantent c’est pourtant une compagnie bien innocente. Eh bien ! on ne sait pas combien c’est dangereux ces petites créatures-là et où elles peuvent vous conduire. »

Les oiseaux, en tout cas, paraissaient l’avoir conduit à porter un singulier accoutrement : une mauvaise veste de velours, une culotte usée par le temps, un petit gilet rouge étriqué, ressemblant plutôt à un hausse-col, et laissant voir une large bande des carreaux bleus de sa chemise, sans compter le fameux chapeau en question.

« Depuis que les oiseaux m’ont ensorcelé, j’ai à peine mis le pied à la maison, dit Robin, il y a bien de cela dix mois. Comment oserais-je aller chez nous, quand je fais pitié à tout le monde ? Je ne sais pas comment, dit Biler qui pleurait comme un veau, en se salissant les yeux avec le parement de sa veste, je ne sais pas comment je n’ai pas été me noyer vingt fois. »

Se noyer vingt fois était un tour de force dont le pauvre garçon ne se serait pas dit capable, si les dents de M. Carker, agissant sur lui comme une machine électrique, n’eussent fait jaillir les mots de sa bouche à tort et à travers.

« Tu es un joli coco, dit M. Carker en branlant la tête ; on a semé pour toi de la graine de chanvre, mon bel ami !

— Hélas ! reprit le malheureux Biler sanglotant encore, et toujours aux dépens de son parement ; il y a des moments où je voudrais bien qu’elle fût assez grande pour en faire une corde à mon cou. Mes misères n’ont commencé que le jour où je me suis mis à filer, monsieur ; mais je ne pouvais faire autre chose que de filer.