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clairement que possible, que ton chemin n’est pas le nôtre. Alors même qu’il te pardonnerait, ce qu’il ne fera pas, il faudrait l’éloigner pour ne pas souffrir de notre ombre. Mais je vois encore…

— Aussi clairement que possible ? demanda le gamin.

— Oui, Charley ; c’est une bonne action que de t’avoir écarté d’une mauvaise route, et mis à même de te faire une vie honorable. Suis le chemin que j’aurai pu t’ouvrir. Pour moi, je te le répète, je me vois seule avec père, le faisant aller aussi droit que je pourrai, me servant de tous les moyens possibles, et attendant qu’un heureux hasard, ou qu’un malheur, un accident, une maladie, que sais-je ? me donne l’occasion de le tourner vers le bien.

— Tu ne sais pas lire dans un livre, Lizzie ; mais tu as dans ce trou noir toute une bibliothèque.

— Oh ! Charley, que je serais heureuse si je pouvais lire dans de vrais livres ; je souffre tant de mon ignorance ! mais j’en souffrirais bien davantage si je ne savais pas que c’est un lien entre mon père et moi. Écoute ! je l’entends revenir. »

Il était minuit passé ; l’oiseau de proie revenait au perchoir. Le lendemain, vers midi, il reparaissait aux Joyeux-Portefaix pour déposer comme témoin devant le coroner, chose qui pour lui n’était pas nouvelle.

Également appelé comme témoin, M. Mortimer Lightwood joignait à cette qualité celle d’éminent solicitor, chargé de suivre la cause au nom des héritiers du défunt. M. l’inspecteur suivait l’affaire de son côté, et gardait pour lui ses remarques personnelles. M. Jules Handford ayant donné sa véritable adresse, et les renseignements pris à l’hôtel l’ayant représenté comme très-solvable, sans qu’on pût dire autre chose, sinon qu’il vivait dans la retraite, M. Handford n’avait pas été assigné, et ne figurait à l’audience que dans les replis ténébreux du cerveau de l’inspecteur.

La cause prit aux yeux du public un vif intérêt par la déposition du solicitor, qui raconta pourquoi le jeune Harmon revenait en Angleterre.

Disons, entre parenthèses, que pendant plusieurs jours ces circonstances furent racontées à table, par MM. Vénéering, Twemlow, Podsnap, Boots et Brewer, qui ne parvinrent jamais à s’entendre, et les exposèrent tous d’une façon contradictoire.

Un témoignage non moins intéressant fut celui de Job Potterson, le commis des vivres du navire, témoignage confirmé par celui de Jacob Kibble, passager sur le même bâtiment, à savoir que le défunt était venu à bord avec une petite valise