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couvertes que l’on a faites dans ces voyages, & dans d’autres semblables, ne laissent plus aucun doute sur les antipodes ; & l’on tient par exemple, que l’île Bornéo, une des îles de la Sonde, est antipode au royaume des Amazones, dans l’Amérique ; & le Rio de la Plata, à la muraille qui sépare la Chine de la Tartarie.

Les Chrétiens, au reste, ne sont ni les premiers, ni les seuls qui ont traité de fable, ce qu’on dit des antipodes ; Lucrèce l’avoit fait avant eux à la fin de son premier Liv. v. 10, 63 & suiv. On peut voir encore Plutarque, Lib. de facie in orbe lunæ ; & Pline qui réfute ce sentiment, Liv. II, chap. 65.

Bien plus, un habile homme, dans une dissertation insérée dans les Mémoires de Trévoux 1708, Janv. p.130, & Février, p. 299, prétend qu’Aventin & les Hérétiques, qui, à son exemple, & par l’intérêt qu’ils auroient de montrer que l’Eglise se trompe dans ses décisions, ou juge de choses qui ne sont point de sa compétence, se trompent eux-mêmes grossièrement sur le fait du Pape Zacharie, aussi-bien que sur le sentiment de S. Augustin, par rapport aux antipodes. Car nous n’avons d’Auteurs contemporains, ou anciens, qui parlent de la condamnation de Virgile par le Pape Zacharie, qu’une lettre de Zacharie lui-même à S. Boniface, où il dit : Quant à sa perverse doctrine (de Virgile) s’il est prouvé qu’il soutienne qu’il y a un autre monde, & d’autres hommes sous la terre, un autre soleil, & une autre lune, chassez-le de l’Eglise dans un Concile, après l’avoir dépouillé du Sacerdoce. Nous avons aussi écrit au Duc de Bavière de nous l’envoyer, afin de l’examiner nous-mêmes, & le juger selon les Canons. Nous avons écrit à Virgile, & à Sidonius des lettres menaçantes, & nous vous croirons plus qu’eux.

Voilà tout ce que nous fournit l’Histoire du temps sur ce fait. Or 1.o, le Pape Zacharie ne parle point d’hérésie, mais seulement de suspense et de dégradation. 2.o Cette peine n’est que comminatoire, & il n’y eut jamais de déclaration. Le Pape veut qu’il soit condamné par un concile provincial, & veut le condamner lui-même, si inventus fuerit erroneus, si on le trouve coupable de quelque erreur. Il n’étoit donc pas sûr qu’il en fût coupable. Boniface, qui avoit donné contre Virgile ces avis au Pape, étoit brouillé avec cet Abbé depuis quelque temps. Il avoit pû le faire avant que la chose fût entièrement éclaircie, ou être trompé par d’autres. Ce qui est constant par la suite de l’Histoire, c’est que Virgile n’alla point à Rome se justifier ; on ne trouve pas même que S. Boniface l’ait examiné juridiquement, & ait poussé plus loin cette affaire : ce qui fait croire qu’il fut détrompé, & que ce que Virgile disoit, n’intéressoit point la foi ; qu’ainsi l’Eglise n’a point désapprouvé qu’on soutînt qu’il y avoit des antipodes. Boniface & Virgile vécurent depuis en bonne intelligence. Pepin estima & considéra Virgile, & le fit Evêque de Saltzbourg vers l’an 764. Il gouverna saintement son évêché, mourut en odeur de sainteté en 780, & fut canonisé par Grégoire IX, qui ne l’eût jamais fait, s’il avoit été condamné par Zacharie, comme hérétique. 3.o Dans la lettre de Zacharie il n’est point parlé d’Antipodes. Ce que ce Pape veut que l’on condamne, c’est de dire qu’il y a un autre monde, d’autres hommes, un autre soleil, une autre lune. Ce ne sont pas là simplement des antipodes. 4.o Quand l’Eglise auroit condamné Virgile, pour avoir soutenu au VIIIe siècle qu’il y avoit des antipodes, elle n’auroit rien fait que de très-raisonnable, rien qui fût contraire à ce que la navigation nous a fait découvrir dans ces derniers temps : car aux démonstrations que fournissoit la Mathématique, pour prouver que la terre étoit ronde, les Physiciens ajoutoient leurs conjectures, & disoient que la mer faisoit deux cercles autour de la terre, qui la partageoient en quatre, que la vaste étendue de cet océan, & les chaleurs brûlantes de la zone torride, empêchoient qu’il ne pût y avoir aucune communication entre ces quatre parties de la terre ; qu’ainsi les hommes n’étoient point de même espèce, & n’avoient point la même origine. C’étoit là ce qu’ils appeloient antipodes, & non pas seulement des gens qui habitent la partie de la terre diamétralement opposée à la nôtre. Outre cela, le terme d’antipodes emportoit encore tout le reste que j’ai dit. Voila dans quel sens on eût condamné le sentiment de ceux qui tiennent des antipodes ; condamnation qui n’aurait rien de contraire aux nouvelles découvertes ; sens que l’on condamneroit encore aujourd’hui, puisqu’il est de foi que Dieu a fait descendre d’un seul homme tous les hommes qui habitent sur la terre, Act. XVII, 26, qu’ils ont tous part à son péché, qu’ils ont tous été rachetés par Jésus-Christ.

Quant aux sentimens des Chrétiens sur les antipodes, quelques-uns, pour ne point admettre les conséquences des Physiciens, nioient tout, & jusqu’aux démonstrations des Mathématiciens. C’est le parti que prend Lactance, Instit. Liv. III ; ch. 24. D’autres s’en tenoient à révoquer en doute les conjectures des Physiciens. C’est ce que fait S. Augustin, Liv. XVI de la cité de Dieu, ch. 9. Après s’être proposé la question s’il y a des nations de Cyclopes, de Pygmées, d’autres qui eussent les pieds tournés en arrière, & tout ce que les Anciens avoient dit d’extraordinaire en ce genre, & avoir répondu que, ou bien tout cela n’est point, ou si cela est, ce ne sont point des hommes, ou si ce sont des hommes, ils descendent d’Adam comme tous les autres ; il vient à la question des antipodes, & demande si la partie inférieure de la terre, qui est opposée à celle que nous habitons, est habitée par des antipodes. Il ne doute point que la terre ne fût ronde, & qu’une partie de cette terre ne fût diamétralement opposée à la nôtre ; il demande seulement si elle est effectivement habitée. C’est là toute sa question ; & lorsqu’il traite de fable ce qu’on disoit des antipodes, il n’y a qu’à suivre sa pensée, pour se persuader qu’il ne dit rien que de fort judicieux. Il remarque 1.o Que ceux qui l’assuroient, n’avoient aucune histoire qui leur eût appris ce fait. 2.o Que leur principe, la terre est ronde, peut être vrai, sans qu’on en puisse conclure que sa partie inférieure soit habitée ; qu’elle est peut-être couverte d’eaux, & que ce n’est qu’une vaste mer ; que quand elle ne seroit point ensevelie dans la mer, mais habitable, il ne s’ensuivroit pas qu’elle fût effectivement habitée ; que d’y mettre des antipodes tels qu’on les figuroit, & qui auroient une autre origine que nous, comme le vouloient les Anciens, puisqu’ils croyoient qu’il étoit impossible de passer de notre habitation dans celle des antipodes, ce seroit contredire l’Ecriture, qui nous apprend que tous les hommes sont descendus d’un seul pere. Tel est le sentiment du Critique dont nous parlons. Louis Vivez a dit en deux mots quelque chose de semblable, dans ses notes sur S. Augustin, faisant entendre que ce Pere n’a pas dit absolument qu’il n’y avoit point d’antipodes ; mais seulement qu’il n’y en avoit point, supposé qu’il n’y eût point de passage de notre monde dans le leur.

Ce mot antipode vient de ἀντὶ, contre, & de ποῦς, ποδὸς, pied.

On le dit figurément de l’incompatibilité, de l’éloignement & de l’aversion qu’on a pour une chose, ou pour une personne. On dit d’un homme qui a des sentimens directement opposés à la raison, que c’est l’antipode du bon sens. Elle est l’antipode des prudes. Bens. Ce discours inspiroit à mon esprit des idées enchanteresses, qui plaçoient Jansénius à l’antipode de S. Augustin.

On dit aussi en proverbe, qu’on voudroit qu’un homme fût aux antipodes ; pour dire, qu’il fût bien loin.

Antipodes. Isidore fait mention d’un peuple dans la Lybie, ainsi nommé parce qu’on supposoit qu’ils avoient les pieds retournés, c’est-à-dire, les talons devant & les doigts derrière. Ils avoient, dit-on, huit doigts aux pieds.

ANTIPROSTATE. s. m. Terme d’Anatomie. Prostate inférieur. Antiprostata, prostata inferior. Un peu après le commencement du tissu spongieux de l’uretère, on trouve deux lacunes de l’uretère plus consi-