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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/27

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fussent pas tentés de se relever ; il avait éteint leur lumière et fermé à double tour leur porte, dont il tenait la clef avec un de ses pistolets. « À présent, monsieur, dit-il à son maître, nous n’avons plus qu’à nous barricader en poussant nos lits contre cette porte, et à dormir paisiblement… » Et il se mit en devoir de pousser les lits, racontant froidement et succinctement à son maître le détail de cette expédition.

Le maître.

Jacques, quel diable d’homme es-tu ! Tu crois donc…

Jacques.

Je ne crois ni ne décrois.

Le maître.

S’ils avaient refusé de se coucher ?

Jacques.

Cela était impossible.

Le maître.

Pourquoi ?

Jacques.

Parce qu’ils ne l’ont pas fait.

Le maître.

S’ils se relevaient ?

Jacques.

Tant pis ou tant mieux.

Le maître.

Si… si… si… et…

Jacques.

Si, si la mer bouillait, il y aurait, comme on dit, bien des poissons de cuits. Que diable, monsieur, tout à l’heure vous avez cru que je courais un grand danger et rien n’était plus faux ; à présent vous vous croyez en grand danger, et rien peut-être n’est encore plus faux. Tous, dans cette maison, nous avons peur les uns des autres ; ce qui prouve que nous sommes tous des sots…

Et, tout en discourant ainsi, le voilà déshabillé, couché et endormi. Son maître, en mangeant à son tour un morceau de pain noir, et buvant un coup de mauvais vin, prêtait l’oreille autour de lui, regardait Jacques qui ronflait et disait : « Quel diable d’homme est-ce là !… » À l’exemple de son valet, le