Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/458

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qu’un moment, n’a pu rassembler autant de symptômes mortels que le poëte ; mais en revanche ils sont bien plus frappants ; c’est la chose même que le peintre montre ; les expressions du musicien et du poëte n’en sont que des hiéroglyphes. Quand le musicien saura son art, les parties d’accompagnement concourront, ou à fortifier l’expression de la partie chantante, ou à ajouter de nouvelles idées que le sujet demandait, et que la partie chantante n’aura pu rendre. Aussi les premières mesures de la basse seront-elles ici d’une harmonie très-lugubre, qui résultera d’un accord de septième superflue (g) mise comme hors des règles ordinaires, et suivie d’un autre accord dissonant de fausse quinte (h). Le reste sera un enchaînement de sixtes et de tierces molles (k) qui caractériseront l’épuisement des forces, et qui conduiront à leur extinction. C’est l’équivalent des spondées de Virgile : Alto quæsivit cœlo lucem.

Au reste, j’ébauche ici ce qu’une main plus habile peut achever. Je ne doute point que l’on ne trouvât dans nos peintres, nos poëtes et nos musiciens, des exemples, et plus analogues encore les uns aux autres, et plus frappants, du sujet même que j’ai choisi. Mais je vous laisse le soin de les chercher et d’en faire usage, à vous, monsieur, qui devez être peintre, poëte, philosophe et musicien ; car vous n’auriez pas tenté de réduire les beaux-arts à un même principe, s’ils ne vous étaient pas tous à peu près également connus.

Comme le poëte et l’orateur savent quelquefois tirer parti de l’harmonie du style, et que le musicien rend toujours sa composition plus parfaite, quand il en bannit certains accords, et des accords qu’il emploie, certains intervalles ; je loue le soin de l’orateur et le travail du musicien et du poëte, autant que je blâme cette noblesse prétendue qui nous a fait exclure de notre langue un grand nombre d’expressions énergiques. Les Grecs, les Latins qui ne connaissent guère cette fausse délicatesse, disaient en leur langue ce qu’ils voulaient, et comme ils le voulaient. Pour nous, à force de raffiner, nous avons appauvri la nôtre, et n’ayant souvent qu’un terme propre à rendre une idée, nous aimons mieux affaiblir l’idée que de ne pas employer un terme noble. Quelle perte pour ceux d’entre nos écrivains qui ont l’imagination forte, que celle de tant de mots que nous revoyons avec plaisir dans Amyot et dans Montaigne. Ils ont