Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/215

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à la boutique. Elle en poussa un cri de frayeur. Bigre qui l’entendit, dit : « Il rêve… » Justine s’évanouit ; ses genoux se dérobent sous elle ; dans son délire elle disait d’une voix étouffée : « Il va venir… il vient… je l’entends qui monte… je suis perdue !… Non, non, lui répondis-je d’une voix étouffée, remettez-vous, taisez-vous, et couchez-vous… » Elle persiste dans son refus ; je tiens ferme : elle se résigne : et nous voilà l’un à côté de l’autre.

Le maître.

Traître ! scélérat ! sais-tu quel crime tu vas commettre ? Tu vas violer cette fille, sinon par la force, du moins par la terreur. Poursuivi au tribunal des lois, tu en éprouverais toute la rigueur réservée aux ravisseurs.

Jacques.

Je ne sais si je la violai, mais je sais bien que je ne lui fis pas de mal, et qu’elle ne m’en fit point. D’abord en détournant sa bouche de mes baisers, elle l’approcha de mon oreille et me dit tout bas : « Non, non, Jacques, non… » À ce mot, je fais semblant de sortir du lit, et de m’avancer vers l’escalier. Elle me retint, et me dit encore à l’oreille : « Je ne vous aurais jamais cru si méchant ; je vois qu’il ne faut attendre de vous aucune pitié ; mais du moins, promettez-moi, jurez-moi…

— Quoi ?

— Que Bigre n’en saura rien. »

Le maître.

Tu promis, tu juras, et tout alla fort bien.

Jacques.

Et puis très bien encore.

Le maître.

Et puis encore très bien ?

Jacques.

C’est précisément comme si vous y aviez été. Cependant, Bigre mon ami, impatient, soucieux et las de rôder autour de la maison sans me rencontrer, rentre chez son père qui lui dit avec humeur : « Tu as été bien longtemps pour rien… » Bigre lui répondit avec plus d’humeur encore : « Est-ce qu’il n’a pas fallu allégir par les deux bouts ce diable d’essieu qui s’est trouvé trop gros.