Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/224

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Marguerite.

Quoi ! Jamais de ta vie ?

Jacques.

De ma vie.

Marguerite.

Comment ! à ton âge, tu ne saurais pas ce que c’est qu’une femme ?

Jacques.

Pardonnez-moi, dame Marguerite.

Marguerite.

Et qu’est-ce que c’est qu’une femme ?

Jacques.

Une femme ?

Marguerite.

Oui, une femme.

Jacques.

Attendez… C’est un homme qui a un cotillon, une cornette et de gros tétons.

Le maître.

Ah ! scélérat !

Jacques.

L’autre ne s’y était pas trompée ; et je voulais que celle-ci s’y trompât. À ma réponse, dame Marguerite fit des éclats de rire qui ne finissaient point ; et moi, tout ébahi, je lui demandai ce qu’elle avait tant à rire. Dame Marguerite me dit qu’elle riait de ma simplicité. « Comment ! grand comme tu es, vrai, tu n’en saurais pas davantage ?

— Non, dame Marguerite. »

Là-dessus dame Marguerite se tut, et moi aussi. Mais, dame Marguerite, lui dis-je encore, nous nous sommes assis pour jaser et voilà que vous ne dites mot et que nous ne jasons pas. Dame Marguerite, qu’avez-vous ? vous rêvez.

Marguerite.

Oui, je rêve… je rêve… je rêve…

En prononçant ces je rêve, sa poitrine s’élevait, sa voix s’affaiblissait, ses membres tremblaient, ses yeux s’étaient fermés, sa bouche était entrouverte ; elle poussa un profond soupir ; elle défaillit, et je fis semblant de croire qu’elle était morte, et