Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus peut-être encore l’effet singulier de la lumière qui les éclairait, sa mère et lui, les ont fixés dans ma mémoire. Au delà de ces femmes, mais dans l’intérieur du temple, deux autres spectateurs. Au devant de ces spectateurs, précisément entre les deux colonnes, vis-à-vis de l’autel et de son brasier ardent, un vieillard dont le caractère et les cheveux gris me frappèrent. Je me doute bien que l’espace plus reculé était rempli de monde ; mais de l’endroit que j’occupais dans mon rêve et dans la caverne, je ne pouvais rien voir de plus.

Grimm.

C’est qu’il n’y avait rien de plus à voir ; que ce sont là tous les personnages du tableau de Fragonard ; et qu’ils se sont trouvés, dans votre rêve, placés tout juste comme sur sa toile.

Diderot.

Si cela est, oh ! le beau tableau que Fragonard a fait ! Mais écoutez le reste.

Le ciel brillait de la clarté la plus pure. Le soleil semblait précipiter toute la masse de sa lumière dans le temple, et se plaire à la rassembler sur la victime, lorsque les voûtes s’obscurcirent de ténèbres épaisses qui, s’étendant sur nos têtes, et se mêlant à l’air, à la lumière, produisirent une horreur soudaine. À travers ces ténèbres, je vis planer un génie infernal ; je le vis. Des yeux hagards lui sortaient de la tête. Il tenait un poignard d’une main ; de l’autre il secouait une torche ardente. Il criait. C’était le Désespoir ; et l’Amour, le redoutable Amour, était porté sur son dos. À l’instant, le grand prêtre tire le couteau sacré ; il lève le bras ; je crois qu’il en va frapper la victime ; qu’il va l’enfoncer dans le sein de celle qui l’a dédaigné, et que le ciel lui a livrée. Point du tout ; il s’en frappe lui-même. Un cri général perce et déchire l’air : je vois la mort et ses symptômes errer sur les joues, sur le front du tendre et généreux infortuné ; ses genoux défaillent, sa tête retombe en arrière, un de ses bras est pendant, la main dont il a saisi le couteau le tient encore enfoncé dans son cœur. Tous les regards s’attachent ou craignent de s’attacher sur lui ; tout marque la peine et l’effroi. L’acolyte qui est au pied du candélabre a la bouche entr’ouverte, et regarde avec effroi. Celui qui soutient la victime retourne la tête, et regarde avec effroi ; celui qui tient