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DISCOURS PRÉLIMINAIRE


Les prétendus connaisseurs en fait de style chercheront vainement à me déchiffrer. Je n’ai point de rang parmi les écrivains connus. Le hasard m’a mis la plume à la main ; et trop de dégoûts accompagnent la condition d’auteur, pour que dans la suite je me fasse une habitude d’écrire. Voici à quelle occasion je m’en suis avisé pour cette fois.

Appelé par mon rang et par ma naissance à la profession des armes, je l’ai suivie, malgré le goût naturel qui m’entraînait à l’étude de la philosophie et des belles-lettres. J’ai fait la campagne de 1745, et je m’en glorifie ; j’ai été dangereusement blessé à la journée de Fontenoi ; mais j’ai vu la guerre, j’ai vu mon roi augmenter l’ardeur de son général par sa présence, le général transmettre à l’officier son esprit, l’officier soutenir l’intrépidité du soldat, le Hollandais contenu, l’Autrichien repoussé, l’Anglais dispersé, et ma nation victorieuse.

À mon retour de Fontenoi, j’allai passer le reste de l’automne au fond d’une province, dans une campagne assez solitaire. J’étais bien résolu de n’y voir personne, ne fût-ce que pour observer plus rigoureusement le régime qui convenait à ma convalescence ; mais mes semblables ne sont faits ni pour vivre inconnus, ni pour être négligés : c’est la malédiction de notre