Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/293

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Elle connaissait leur arrivée : comment ne la voyait-on pas ?

Soudain un tableau tel que Georges Cardignac n’en avait jamais vu se déroula à leurs yeux.

Sortant d’un pli de terrain, une longue théorie de noirs que dominaient quelques Maures à cheval se dirigeait vers eux et les croisa.

C’était un convoi de captifs.

Les nègres qui le composaient, attachés les uns aux autres par une chaîne et un large anneau formant ceinture, n’avaient plus rien d’humain. Ils n’étaient même plus noirs et la poussière des longs trajets à travers les solitudes africaines avait accumulé sur leur peau une couche terreuse couleur d’ardoise : de pauvres petits négrillons de sept à dix ans couraient péniblement, les jambes gonflées, derrière ce bétail humain, et les traitants maures, suivant à cheval, aiguillonnaient les traînards avec la plus révoltante brutalité.

— Oh ! fit Georges dont le cœur se souleva : comment de pareilles atrocités peuvent-elles encore se passer en territoire français ?

Le capitaine Cassaigne avait fait distribuer, au passage, à quelques-uns de ces malheureux le fond d’une caisse de biscuits ; il entendit la réflexion de Georges.

— Vous n’oubliez qu’une chose, mon jeune camarade, lui dit-il, c’est que nous ne sommes pas ici en territoire français : tous les noirs qui acceptent notre domination sont garantis contre l’esclavage, puisque nous les protégeons, et c’est ce qui, peu à peu, amènera à nous la population fétichiste ; mais sur les bords du Niger, des bandits comme Samory, comme jadis EL Hadj-Onlar, exécutent de véritables dévastations systématiques et emmènent en esclavage des populations entières ; les traitants du Sénégal, en leur achetant des esclaves, sauvent donc ainsi des milliers d’êtres, qui mourraient de faim et sèmeraient leurs cadavres partout.

— Mais, mon capitaine, objecta Georges avec fougue, en montrant le pavillon tricolore qu’un tirailleur portait en tête de la colonne : là où flotte notre drapeau, là est la France, et la France proscrit l’esclavage partout où elle passe.

— C’est parfaitement vrai, mais pour le proscrire, il faut qu’elle ait la force ; or, dans cette région que nous sommes des premiers à parcourir, elle ne l’a pas encore : de ce pays entre Sénégal et Niger nous ne possédons que