Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/289

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santé de son conscrit si heureusement échappé à tant de dangers, et les causeries commencèrent.

Jean, placé entre Catherine et Lison, dut raconter par le menu tous les épisodes de sa longue captivité.

Puis ce fut à son tour de questionner.

Il apprit ainsi que le pauvre Sansonneau était mort l’année précédente, en lui léguant toute sa fortune, à charge, pour Jean, de faire à Mme Sansonneau une rente, sa vie durant.

On pleura le brave épicier.

Ensuite Jacques Bailly raconta que, malgré son vit désir, il n’avait pu rentrer en France que depuis deux mois. La demande d’échange avait été faite aussitôt au Premier Consul qui l’avait favorablement accueillie ; mais les contrôles anglais, concernant les prisonniers de guerre, étaient fort mal tenus. Il en était résulté des retards, car on avait dû rechercher Jean sur le Tiger, alors en croisière dans les mers lointaines ; et, même après la signature de la paix d’Amiens, on ne savait rien des recherches faites par les autorités anglaises.

— Vous ne m’avez pas cru mort ? demanda Jean.

— Si ! Parfois nous en avions une peur superlative, dit Belle-Rose.

— Oh ! s’écria Lison dans un élan, moi j’ai toujours espéré… Je savais bien que tu nous reviendrais.

Enfin Belle-Rose raconta la fin de la campagne d’Égypte, la perte de son bras, son rapatriement.

« Et puis, tu sais, clampin ! ajouta-t-il, malgré que je n’avais plus qu’un bras, si j’ai laissé tes nippes aux Arabes, du moins j’ai rapporté ton sabre de Mayence, ton sabre d’honneur… Tiens, le voilà, cornebleu ! »

Il désignait l’arme pendue au-dessus de la cheminée, et sa vue remua Jean Cardignac jusqu’au fond du cœur. Il se leva, tout ému, décrocha son trophée de gloire et le reboucla à son côté.

— Enfin ! conclut Belle-Rose, me voilà pensionné, plus bon à rien à ce qu’ils prétendent ; on m’a collé aux Invalides, côte à côte avec mon vieux La Ramée. Nous causons du vieux temps… Tu viendras nous voir, petit !

— Oh ! pour sûr !

— Mais n’importe ! affirma le vieux soldat. On aurait tout de même bien pu me laisser dans l’active ! Cornebleu ! je n’ai pas encore soixante-six ans !