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le juif dans l’histoire de france

Ce ne fut pas l’armée, écrit M. René de Lagrange[1], que nous aperçûmes en premier lieu, ce fut l’État-major qui, évidemment, faisait l’office d’éclaireurs. Cette avant-garde arrivait au petit trot, jetant un œil inquiet, à droite et à gauche, sur le maigre bandeau de spectateurs qui formait la haie des deux côtés. Les cavaliers qui composaient cette escorte — je les vois encore — étaient presque tous des hommes de haute taille et de puissante stature, se tenant à cheval comme des écuyers de race. Ils portaient, pour la plupart, l’uniforme brillant des cuirassiers. Coiffés de casques dont le cimier portait des animaux chimériques, revêtus de cuirasses ornées d’armoiries en relief ou d’écussons en métal, ces cavaliers étincelaient sous les premiers rayons d’un soleil de mars.

La physionomie de ces soudards aristocratiques était en harmonie avec leurs mâles armures. L’ensemble en était grandiose. Leurs cheveux d’un blond roux, leurs moustaches fortement plantées et d’un jet hardi, leur teint clair et rouge à la fois, leurs yeux bleu de ciel au rayon farouche rappelaient, à s’y méprendre, le portrait de ces mêmes hommes, tracé autrefois par le burin de Tacite : Oculi cœrulei et truces, rutilæ comæ, magna corpora. Il faut être juste, néanmoins, même avec ses adversaires, ces physionomies avaient un grand caractère.

En voyant ces espèces de cavaliers géants, on eût dit ces Burgraves des bords du Rhin, contemporains de Barberousse, tels qu’on les voit sculptés sur la façade du château de Heidelberg ou dans les estampes d’Albert Durer. Tout ce groupe respirait l’Allemagne féodale, l’âge de fer, le règne de la force, le moyen âge militaire. Cette petite escorte, au milieu de laquelle on distinguait le roi de Prusse et M. Bismarck, toute armée qu’elle fût, n’avançait qu’avec précaution, comme nous l’avons dit. Entrer dans ce Paris, dans ce gouffre révolutionnaire à la suite d’un siège de cinq mois et demi, cela semblait peu rassurant. C’était entrer dans le volcan. Avant de risquer l’armée, l’État-major tâtait le terrain, de peur, sans doute, que, malgré toutes les précautions prises, quelque mine chargée de dynamite, ne vint à éclater sous les pas de l’armée

  1. Figaro du 28 février 1883.