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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

versel. Mais si nous observions fort souvent ce même événement en y pourchassant ce qui s’y trouve d’universel, nous finirions par en acquérir la science démonstrative. Par l’observation d’un grand nombre d’objets singuliers, l’universel est mis en évidence. Ἐϰ γὰρ τῶν ϰαθ’ ἕϰαστα πλειόνων τὸ ϰαθόλου δῆλον. »

Plus loin[1], Aristote analyse le mécanisme de cette opération par laquelle l’observation répétée des choses singulières engendre en nous la connaissance de l’universel. « De la perception sensible, naît le souvenir. Du souvenir maintes fois répété d’un même événement, naît l’expérience (ἐμπειρία) ; en effet, des souvenirs multiples, mais qui ne diffèrent que numériquement, constituent une expérience unique (πολλαῖ μνῆμαι τῷ ἀριθμῷ ἐμπειρία μία ἐστίν). Mais l’expérience, c’est l’universel qui demeure encore en repos [et latent] au sein de l’âme, c’est ce qui est unique à côté de la multiplicité des souvenirs ; car il se retrouve en chacun de ces souvenirs, toujours un et toujours le même. Tout cet universel, c’est le principe de la connaissance technique (τέχνη) et de la science démonstrative (ἐπιστήμη) ; de la connaissance technique, si l’objet recherché est la production d’une œuvre ; de la science démonstrative, si cet objet est l’être. ».

La connaissance des vérités universelles n’est donc nullement, comme le voulait Platon, réservée à une intuition (νοήσις) entièrement détachée de la connaissance sensible ; c’est l’induction qui les abstrait de l’expérience, c’est-à-dire des données de la perception sensible conservées en la mémoire.

Et cependant, cette connaissance des principes, qu’Aristote nomme[2] l’intelligence (νοῦς), est la plus sûre de nos connaissances : elle est plus certaine encore que la science déductive (ἐπιστήμη), car il faut que les principes soient mieux connus que ce qu’ils servent à démontrer.


II
LA PHYSIQUE ET SES RELATIONS AVEC LA MATHÉMATIQUE ET LA MÉTAPHYSIQUE

De la doctrine dont nous venons de retracer les lignes essentielles, voyons comment use Aristote pour définir l’objet de la Phy-

  1. Aristote, Seconds Analytiques, livre II, ch. XV [XIX] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 170 ; éd. Bekker, vol. I, p. 100, col. a et b).
  2. Aristote, Seconds Analytiques, livre II, ch. XV [XIX] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. I, p. 171 ; éd. Bekker, vol. I, p. 100, col. b).