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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

« Philolaüs le Pythagoricien disait que le feu se trouvait au milieu du Monde, car il était le foyer de l’Univers ; en second lieu venait l’Anti-terre ; puis, en troisième lieu, la Terre que nous habitons ; elle se trouve placée du côté opposé (ἐξ ἐναντίας ϰειμένη) et sa révolution entoure [celle de] l’Anti-terre ; il en résulte que les habitants de chacune de ces deux terres ne peuvent être aperçus de ceux qui se trouvent en l’autre[1]. »

Il est naturel de penser que la région habitée de l’Anti-terre, comme la région habitée de la Terre, est celle que le feu central n’échauffe pas ; dès lors par rapport à ce feu central, il faut que la Terre et l’Anti-terre soient sans cesse en opposition, si l’on veut que les habitants de chacun de ces deux astres ne puissent jamais apercevoir l’autre astre. Il est vrai que le faux Plutarque ne nous dit pas que les habitants de l’Antichthone ne puissent apercevoir la Terre ; il nous affirme seulement qu’ils ne sauraient apercevoir les habitants de la Terre.

Encore qu’il eût imaginé l’Antichthone afin de porter à dix le nombre des corps qui tournent autour du feu central, Philolaüs devait chercher, parmi les phénomènes astronomiques, quelque indice qui révélât l’existence de ce corps invisible. Il crut trouver cet indice dans les éclipses de Lune.

Il remarqua qu’en un lieu donné de la Terre, les éclipses de Lune visibles sont plus fréquentes que les éclipses de Soleil ; il crut nécessaire, pour expliquer ce phénomène, d’invoquer d’autres éclipses de Lune que celles qui sont produites par la Terre ; ces éclipses supplémentaires, il les mit sur le compte de l’Anti-terre.

Ce point de la théorie philolaïque est encore un de ceux au sujet desquels les témoignages abondent.

Au De Cælo, Aristote nous dit[2] : « Certains croient qu’il peut exister des corps qui tournent autour du centre et que l’interposition de la Terre rend invisibles pour nous. À l’aide de cette supposition, ils expliquaient, que les éclipses de Lune fussent plus nombreuses que les éclipses de Soleil ; ils disaient que les éclipses de Lune étaient produites non seulement par l’ombre de la Terre, mais encore par l’ombre de ces corps supposés[3] ».

  1. Sur cette question, l’Antichtone est-elle en conjonction ou en opposition avec la Terre par rapport au feu central, Bœckh est demeuré dans le doute (Bœckh, Vom Philolaischen Weltsystem ; addition datée de 1863-1864 et insérée dans Bœckh’s, Gesammelte kleine Schriften, Bd III, pp. 320-342)
  2. Aristote, De Cœlo lib. II, cap. XIII (Aristotelis Opera, éd. Firmin-Didot, t. II, p. 403 ; éd. Bekker, vol. I, p. 293, col. b.).
  3. Cette explication eut vogue même en dehors des écoles pythagoriciennes ;